Guerre en Ukraine !
Nous connaissons tous la déclaration de Vladimir Poutine, qualifiant « la chute de l’URSS comme la plus grande catastrophe géopolitique du 20èm siècle. En ces jours incroyables de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous pouvons nous interroger si cette décision, ne va pas à terme, constituer la plus grande, et ultime, erreur géopolitique de la Russie au…. 21ème siècle…..
Mais comment a-t-on pu en arriver là ?
Les motifs réels et les motifs de façade
L’invasion de l’Ukraine déclenchée le 24 février, dans sa composante militaire a été conçue fortement en amont de cette date. Si sa conception, l’élaboration des plans de campagne ont débuté il y a quelques années, comment discerner le ou les ressorts qui ont motivé une telle guerre ? Pourquoi a-t-elle pris le monde par surprise ?
Maintenant que nous avons devant nous le fil de toute cette chronologie, on peut reconstituer l’enchaînement des faits.
Le plus certainement du monde, le fait générateur de ce projet est tout simplement la révolution de Maïdan, et les décisions prises par le peuple ukrainien depuis. En ce début d’année 2014, les ukrainiens expriment très clairement leur souhait de voir leur pays se rapprocher tant de l’Union Européenne que de l’OTAN. Le risque sécuritaire vis-à-vis de l’OTAN, présenté actuellement par la Russie est un leurre.
Outre la radicalité de ces choix, le berceau historique de la Russie, la Russ’ de Kiev, se détache politiquement, et stratégiquement de la Russ’ de Moscou, alors que 8 siècles d’Histoire les ont uni, avec les hauts et bas que peut créer une aussi longue période. Mais Russes et Ukrainiens se considèrent soit frères, soit cousins.
Outre cette séparation, il y a trois facteurs multiplicateurs qui amplifient la violence de ce traumatisme, la surprise, le risque que cela représente pour le Kremlin, et le moment où il survint.
La surprise et le risque
Il est en effet rétrospectivement très étonnant, pour ne pas dire plus, de constater que la Russie ne s’est pas spécialement manifestée, ni à l’intérieur de l’Ukraine, ni depuis l’extérieur pour s’opposer à un tel changement.
Le Kremlin a été totalement surpris par les évènements de Maïdan, ne les a pas vu venir et en conséquence n’a pu se préparer et s’y opposer. Il serait intéressant de savoir ce que l’ambassadeur russe à Kiev en 2013 est devenu….
Cette impréparation russe à affronter une telle situation a du profondément marquer le président russe. Cet effet de surprise, réalisé en quelque sorte par l’occident n’a pas pu être oublié. Nous avons en cette fin février 2022, la réplique, comme pour les tremblements de terre, de la secousse initiale. L’effet de surprise de 2022 constitue le premier élément de la revanche de l’humiliation de 2014. Tout a été construit pour le protéger, telle la réunion de Moscou avec le président Macron. Tout a été mis en place pour… faire croire à la négociation, alors que l’attaque était totalement préparée. L’effet de surprise fait partie de la revanche.
En changeant de cap à 180°, l’Ukraine décide de s’orienter vers un système politique démocratique articulée autour d’élections libres. Cette option, de base, s’accompagne de ses corollaires économiques, d’économie de marché et de libre entreprise, au moins dans sa vision. L’emprise des oligarques reste forte, mais la volonté est évidente de lutter contre la corruption.
La Russie encourt donc le risque d’avoir à son immédiate frontière, une vitrine politique et économique issue du modèle occidental. Le peuple russe aurait donc, directement, sous ses propres yeux, les résultats qu’un peuple, cousin ou frère, peut obtenir en termes de niveau de vie, liberté individuelle, et vie politique démocratique.
Inacceptable.
Impossible pour la Russie d’accepter la construction d’une telle vitrine à sa frontière.
Ne peut alors se dessiner que le dessein d’y mettre fin, …. quoi qu’il en coûte…..d’autant plus que ce divorce et ce défi, interviennent rétrospectivement, au pire moment.
Une gifle au moment du sommet
L’année 2014 n’est pas neutre, quand on se livre à l’analyse des 22 années de pouvoir de Vladimir Poutine.
Cette année constitue précisément le sommet de sa trajectoire, de son rayonnement, tous les problèmes économiques et sociaux en Russie ont débuté à partir de 2015, et sont allés en s’amplifiant.
Les 15 premières années de 1999 à 2014 ont constitué les « 15 Glorieuses » de son parcours. La raison ? L’envol continu des cours des matières premières énergétiques. A son arrivée au pouvoir, le cours moyen sur l’année 1999 du baril de pétrole s’est situé à….. 18 dollars…. En 2014, le prix moyen du baril s’est affiché à ….108 dollars, soit une multiplication par 6 !
Mais en plus, au cours de cette même période, la production russe de pétrole a augmenté de plus de 60%. La combinaison des deux facteurs a donc MULTIPLIÉ par 10 les revenus de la Russie, issus des matières premières énergétiques. Fantastique pactole que le Kremlin va utiliser pour élever au cours de ces 15 années le niveau de vie de ses concitoyens, tout en modernisant de fond en combles l’arsenal militaire du pays. L’année 2014 constitue le sommet économique de la présidence de Vladimir Poutine, car en fin de cette même année, les cours du pétrole partent à la baisse sous l’effet lent, mais continu, des volumes supplémentaires de pétrole américain, issu des schistes.
Le déclin du cours du Rouble déjà amorcé depuis 2013, avec les prémices de Maïdan, s’accélère en passant de 40 Roubles, pour atteindre au plus bas, et avant l’invasion récente, 92 Roubles pour 1 Euros…..
Cette chute du Rouble a provoqué une inflation importée, issue de la hausse des prix des produits achetés hors des frontières. S’est alors mis en place la spirale de l’inflation, jusqu’à 15%, et donc la baisse continue du Revenu Réel au cours de ces 8 dernières années.
Cette situation explique décisions sociales et fiscales prises par le pouvoir, toutes à l’évidence mécontentant la population. En plus de l’envolée du taux directeur de la Banque Centrale, jusqu’à 18%, une hausse de la TVA (et donc des prix) de 2% a été décidée début 2019. Mais la mesure la plus impopulaire, et la plus symbolique concerne l’allongement de 5 années de la durée légale du travail, décidée en 2018, le jour de l’ouverture de la Coupe du Monde de Football, savante combinaison de cynisme et de ….camouflage…..
Rétrospectivement, le départ de l’Ukraine de la zone d’influence Russe s’est bien déroulé au sommet des 15 glorieuses de Vladimir Poutine.
L’humiliation du départ de l’Ukraine de la zone de totale influence Russe, a constitué un fantastique ressort, et le point de départ d’une irrésistible et inarrêtable besoin d’effacer cet outrage…
Mais dans ce processus, Vladimir Poutine ne s’est pas retrouvé seul.
L’équipe de la revanche
Une garde très rapprochée, et qu’il n’est pas inutile d’identifier s’est constituée autour du Président. Elle présente d’intéressantes caractéristiques communes.
Dans la mission de reconquête que le Kremlin s’est fixée, il n’est pas inintéressant de considérer l’importance du facteur spirituel et religieux. On trouve dans cette position le métropolite Tikhon Chevkounov, souvent présenté comme le confesseur privé du président. Il accompagne très fortement la vision présidentielle (pouvant même être un des inspirateurs) de l’unité des peuples issus du baptême de la Russ’ , contre un occident « décadent ».
Cette unité impose donc la « reconquête » des territoires perdus, donc la reprise de l’Ukraine, et son retour dans le giron moscovite.
Accompagnent ce dessein, deux personnages essentiels, l’un ministre de la défense, Sergueï Choïgou, ami de longue date, car issu également du KGB, tout comme Nikolaï Patrouchev, Secrétaire du Conseil de Sécurité.
A côté du spirituel « messianique » inspirant et confortant la vision, Vladimir Poutine a donc constitué autour de lui, un cercle ultra-fermé d’amis très anciens, KGBistes, doctrinaires, le tout opérant en cercle fermé. Construction favorisant l’élaboration du plan et la protection de son secret.
Cet effet de « bunkerisation » accompagne donc aussi bien la naissance du projet que la mise en œuvre actuelle.
L’effet « bunker »
Cet isolement nécessaire au secret, sépare le pouvoir de son peuple. Mais vu du sommet du pouvoir l’éloignement du peuple n’a pas d’importance, tout comme finalement, le peuple lui-même, tant la mission à accomplir est d’un ordre totalement supérieur.
Les coûts économiques que la population russe va subir n’a pas d’importance. La chute de l’image du pays dans le monde n’a pas d’importance non plus. Rien n’est plus important que l’impérieux devoir dont on se croit investi.
Cet isolement et les conséquences qui en découlent, s’appellent volonté d’aller jusqu’au bout, et difficulté d’établir les premiers éléments de négociation.
Mais la mise en place d’une telle stratégie intérieure, peut produire des effets nullement pris en compte par les auteurs. Nous pourrions voir en effet poindre des effets fortement négatifs aussi bien issus de la population que des cercles économiques, militaires, et civiles au contact direct du pouvoir.
Si le « bunker » fait penser à la période Hitlérienne, la « bunkerisation » du pouvoir fait revivre les projets d’élimination et d’attentat contre un homme devenu incontrôlable, et conduisant son peuple vers l’abîme. Nous savons que « comparaison n’est pas raison », mais notre mémoire ne peut s’empêcher de construire le rapprochement.
Cette guerre totalement inattendue aura sans nul doute des effets hors Russie, et en Russie, eux aussi absolument inattendus. La décennie 2020-2030 nous fera vivre des mouvements auxquels peu s’attendent, tout comme personne n’avait imaginé sur le sol européen un conflit de cette ampleur.
Gérard Vespierre