Les 4 piliers stratégiques français, de l’Inde au Kazakhstan

Les 4 piliers stratégiques français, de l’Inde au Kazakhstan

Article paru dans La Tribune le 26 février 2025

L’émergence tranquille de l’Inde, l’ouverture des anciennes républiques soviétiques d’Asie, ont créé des conditions géopolitiques nouvelles dans cette grande région du monde. La France entend y jouer un rôle plein, grâce à ses atouts technologiques, et politiques. La diplomatie française y bâtit une zone de partenariats stratégiques. C’est aussi un aspect de l’Europe-Puissance. Cette capacité et ce succès doivent recevoir plus de lumière. Par Gérard Vespierre président de Strategic Conseils.

Notre pays est connu pour son sens critique. Nous donnons, et particulièrement actuellement, un éclairage excessif aux difficultés et aux problèmes, aux dépens des solutions et des réalisations positives. Si notre pays connaît géopolitiquement des difficultés sur le continent africain, nous avons tout lieu de nous réjouir de notre stratégie en Asie, tant d’un point de vue diplomatique, que sur le plan technologique, l’un nourrissant l’autre.

La France dispose de quatre piliers de collaboration stratégique qui s’appellent, le nucléaire civile, les capacités spatiales, les matériels militaires, et plus récemment, l’Intelligence Artificielle. Ces capacités françaises ont été construites par l’intelligente alliance, de hautes compétences techniques humaines et de l’impulsions de l’État, dans le long terme.

Il s’y est ajouté la volonté politique française de se singulariser par rapport aux grandes Puissances. Cette option a été puissamment contributive vis-à-vis de l’Inde.

Une approche globale vers New-Dehli

Le partenariat stratégique entre l’Inde et la France Fêtera ses 30 ans en 2028. La présence du 1er ministre indien Narendra Modi, hôte d’honneur du défilé du 14 juillet 2023, pour les 25ans fut hautement symbolique. Elle exprime aussi la coopération militaire franco-indienne.

L’acquisition de 36 Rafale reflète la continuité de notre collaboration dans le domaine militaire aérien, initiée avec Jaguar, et Mirage. Une commande de 26 exemplaires du Rafale Marine est attendue. L’armement naval nourrit aussi cette collaboration militaire avec la construction en Inde de sous-marins « Scorpène ».

Un deuxième pilier dans le spatiale s’est également mise en place, depuis de nombreuses années, entre le Centre Nationale d’Etudes Spatiales (CNES) et l’agence indienne (ISRO). Le lancement du premier satellite indien par un fusée Ariane remontant à 1981…. Deux programmes de satellites ont été décidés concernant la détection des ressources en eau, et la surveillance du trafic maritime mondial. Le CNES apporte aussi son soutien technique au programme national indien de vols habités.

Le troisième pilier, le nucléaire civile a été particulièrement mis en valeur lors de la visite du Premier Ministre Norendra Modi, et sa visite du réacteur expérimental de fusion nucléaire Iter. Les deux gouvernements souhaitent également coopérer dans les futurs réacteurs nucléaires de petite taille (SMR)

Le quatrième pilier stratégique, autour de l’IA, a été sous le feu des projecteurs, au cours de la même visite, Narendra Modi partageant la présidence du sommet international de l’IA, initié par le gouvernement français. La collaboration informatique est en place entre les 2 pays est en place depuis de nombreuses années dans le domaine des services.

Narendra Modi, depuis 2015 se rend en France pratiquement tous les 2ans.  Emmanuel Macron et le Premier Ministre indien viennent de se retrouver pour la 6ème fois…. Cette fréquence est un signe de l’importance de cette relation.

Une relation tout aussi stratégique s’est développée depuis 30 ans avec un autre grand pays.

Un partenariat stratégique avec le Kazakhstan

Le président Tokaïev a illustré sa volonté de poursuivre le développement des relations du Kazakhstan, grand pays de 2,8 millions de km², en particulier avec la France, en dehors des zones d’influences de ces deux voisins, russes et chinois.

Dès le début des années ’90, des relations de nature stratégiques se sont établies entre la France et le Kazakhstan. Sa position de leader mondial dans la production d’uranium, a créé une convergence naturelle avec la France, 1er producteur mondial d’électricité nucléaire, basé sur l’uranium. Un accord fut signé dès 1996 entre Aréva (maintenant Orano) et Kazatomprom, exploitant des gisements d’uranium.

La mise en place d’un deuxième pilier, autour du matériel militaire a naturellement tenu compte des données géopolitiques, donnant priorité à des matériels non léthaux. Airbus Defence & Space a fourni 11 bimoteurs C295 de transport tactique à usage militaire et civil depuis 2013. Le Kazakhstan s’est également porté acquéreur de l’avion de transport tactique et stratégique A400M, dont le premier exemplaire vient d’être livré en décembre 2024.

Le troisième pilier, spatial, a débuté dans le domaine des télécommunications et d’observation de la terre. Les deux premiers satellites d’observation, KazEOSat-1 et KazEOSat-2 furent lancés dès 2014.

Un an après la visite d’Emmanuel Macron au Kazakhstan, en 2023, la visite du président Tokaïev en novembre 2024, a permis de confirmer dans leur déclaration commune «l’aspiration à approfondir, étendre et diversifier les relations privilégiées existant entre les deux pays en vue de les porter au niveau d’un partenariat stratégique renforcé ».

Cela ouvrait la voie au 4ème pilier « le renforcement de la coopération bilatérale en matière de numérique et d’intelligence artificielle ». A l’occasion de sa présence à Paris pour le Sommet sur l’AI, le ministre Zhaslan Madiyev en charge du développement digital et de l’innovation, a annoncé que son pays rejoindra le Partenariat Mondial sur l’Intelligence Artificiel, cofondé par la France en 2020. Il a aussi eu l’occasion de partager les initiatives du Kazakhstan dans le domaine de l’AI et le succès de plusieurs startups. Un programme de formation de 200. 000 citoyens pas an, de l’école au gouvernement, a déjà été mis en place

Cette coopération stratégique globale aura l’occasion de s’exprimer à nouveau lors de la prochaine tenue du Forum international d’Astana, le 29-30 mai. L’objectif cette année ambitionne de revitaliser l’esprit de coopération et d’échange afin de contrer la fragmentation internationale, et renouer avec le multilatéralisme.

Les travaux, organisés autour de 4 thématiques aborderont, la sécurité internationale, développement et durabilité, énergie et climat, et les perspectives économiques mondiales.

La France devra y tenir sa place, comme elle l’a fait depuis sa création en 2008 à travers la participation des dirigeants d’entreprises impliquées, ou en potentiel de l’être. De hauts dirigeants français, comme Patrick Pouyanné président de TotalEnergies ont participé au Forum. En dehors des 4 piliers de coopération stratégiques, d’autres opportunités sont ouvertes aux entreprises françaises, en particulier dans le domaine de la santé.

Les pôles majeurs de la technologie française participent pleinement au rayonnement international de notre pays. Ces quatre piliers de coopération stratégique mis en place avec l’Inde et le Kazakhstan constitue un modèle projetable dans le futur vers d’autres pays de la région Asie, voire d’autres horizons. Ces développements géopolitiques français constituent un réel apport à la politique de l’Europe, et à la reconnaissance de ses capacités, à un moment où se prononce le terme d’Europe-puissance.