Iran : la véritable tension est pétrolière

Pétrole Iran Asaluyeh

Article paru sur Latribune.fr le 23 mai 2019

ANALYSE. Depuis la décision américaine du mois de novembre de réduire à zéro les exportations iraniennes de pétrole, un jeu à haut risque se met en place au Moyen-Orient. Alors que prenait fin, début mai, le délai de 6 mois accordé aux acheteurs de brut iranien, la réaction de Téhéran a eu lieu la semaine passée.

Pour s’opposer à la guerre économique qui lui est faite, l’Iran est prêt à flirter avec la ligne rouge, au risque de déclencher une déflagration régionale. Une fois encore le Moyen Orient apparait comme une poudrière prête à exploser. Décryptons les enjeux :

L’enjeu économique : 25 milliards de recettes annuelles.

Avec la mise en œuvre de l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA), la production iranienne de pétrole est passée de 3,4 millions à 4,4 millions de barils/jour. Cette augmentation a permis de faire passer les exportations de 1,5 à 2,5 millions de barils/jour. Avec un prix avoisinant les 65 dollars le baril, le régime des mollahs a vu ses recettes augmenter de 2 milliards de dollars par mois.

Toutefois, la première vague de sanctions américaines est venue mettre un coup d’arrêt à cette ascension économique, ramenant les exportations iraniennes à leur niveau de 2015. Et l’expiration très récente du « waiver », clause d’exemption permettant à 8 pays de continuer d’acheter du pétrole iranien pendant 6 mois, vise à faire tomber les exportations iraniennes à zéro. L’objectif est de priver le régime d’une manne considérable, et même vitale : 25 milliards de dollars par an.

La réponse iranienne

Devant un tel défi, mettant en péril l’économie iranienne et donc la survie du régime autoritaire, Téhéran a décidé d’adresser à ses détracteurs régionaux et internationaux un message clair, circonstancié, et indirect, par l’intermédiaire entre autres, d’un de ses proxys : le groupe rebelle Houthi, basé au Yémen.

Deux de ses voisins, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, gros exportateurs de pétrole prêts à pallier la baisse (voire la disparition) des exportations iraniennes, ont été ciblés.

Dimanche, 4 tankers ont subi des sabotages au large du port de Fujairah, dans les eaux territoriales émiriennes. Un des navires étant norvégien, une analyse a été menée par la Norwegian Shipowners’ Mutual War Risks Insurance Association (DNK). Elle a conclu que l’attaque aurait probablement été menée par un navire de surface opérant avec des drones sous-marins transportant 30 à 50 kg d’explosifs. La DNK estime une implication probable des pasdaran iraniens dans ces attaques, par similitude avec d’autres opérations.

Mercredi, des drones, aériens, ont attaqué des installations pétrolières saoudiennes. Les proxys, désignés, ne sont pas des milices chiites irakiennes mais plutôt les rebelles Houthis, qui ont revendiqué l’attaque par drone d’un oléoduc. Ces mêmes rebelles ont renversé le gouvernement légitime yéménite et se sont emparés de la capitale Sanaa en 2014 avec l’aide de Téhéran. Ces mêmes rebelles qui participent à faire échouer les accords de paix yéménites.

Le décryptage du message

Le but de ces attaques est triple pour le régime iranien : faire comprendre, premièrement, à ses ennemis qu’ils doivent lui laisser la pleine liberté de vendre son pétrole. Téhéran souhaite aussi démontrer que les expéditions en provenance des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite ne sont pas garanties, et pourraient être interrompues.

On décèle, deuxièmement, un message implicite, mais non moins important, adressé lui aux clients actuels de l’Iran, notamment la Chine et l’Inde : « ne vous tournez pas vers l’Arabie et les Emirats, votre garantie d’approvisionnement est avec nous ». La mission du ministre des Affaires Etrangères iranien, Zarif, dans ces deux pays, la même semaine, était claire.

Troisièmement, un message est adressé aux Etats-Unis. Ces actions de sabotage, que l’on pourrait qualifier de niveau 1, créent un frémissement de hausse des cours du brut. Mais il est facile d’imaginer que des actions de niveau 2, plus fortes, auraient des conséquences beaucoup plus sévères sur les cours du pétrole, au détriment de l’économie américaine, et mondiale.

La force d’un message faible

Bien que ces attaques n’aient pas fait de victimes directes et que les impacts sur les économies du Golfe restent relativement mineurs, la réaction iranienne est en réalité d’une très grande force, parce qu’elle crée de l’incertitude et laisse augurer de très grands dangers.

Attendue sur des attentats en Irak contre les forces américaines, le régime iranien a une nouvelle fois agi là où on ne l’attendait pas. Alors que les Etats-Unis craignaient des actions militaro-politiques contre leurs positions et intérêts dans la région, ce sont des actions militaro-pétrolières qui ont été entreprises. La surprise est la règle numéro un de la stratégie des Gardiens de la Révolution.

Malgré des destructions de faible ampleur, le problème posé est lui de très grande ampleur, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de la stabilité et de la sécurité d’approvisionnement pétrolier d’une grande partie du monde. 20% du pétrole mondial transite par le détroit d’Ormuz.

A l’évidence nous vivons depuis quelques jours une très sérieuse escalade dans le rapport de force engagé entre le gouvernement américain et le régime de Téhéran. Bien qu’il soit difficile de savoir ce que nous réserve cette escalade, il est certain que les actions de Téhéran sont une mauvaise nouvelle dans une région déjà sous haute tension.