Arménie : trois raisons d’être dans l’actualité
Article paru sur Latribune.fr le 5 novembre 2019
L’Arménie a fait les titres de l’actualité après le vote de la Chambre des Représentants des Etats-Unis sur le génocide arménien. Avant cela, il y eut l’an dernier une « révolution » à Erevan. L’agitation des peuples, cet automne, de l’Amérique du sud à l’Asie, nous invite à revenir sur les enseignements de cette « révolution de velours » arménienne. Enfin, ce pays porte toujours la charge de la sécurité des populations du Haut-Karabagh, territoire que lui conteste l’Azerbaïdjan voisin. Voilà donc trois raisons de réfléchir à sa situation actuelle.
Aux Etats-Unis, depuis trois ans, les surprises viennent plutôt des tweets du président que des décisions et votes de la Chambre des Représentants. Le vote appelant à « commémorer le génocide arménien », perpétué par la Turquie, à « rejeter les tentatives (…) d’associer le gouvernement américain à la négation du génocide arménien » et à « éduquer sur ces faits » a constitué une véritable bombe diplomatique, car la décision était totalement inattendue.
La reconnaissance du génocide arménien par Washington
Ce texte non-contraignant adopté par 405 voix sur 435, et 11 voix contre, montre de plus une rare union entre démocrates et républicains. Ce vote, accueilli par des applaudissements dans l’hémicycle, a immédiatement connu une résonance planétaire. Enfin, son adoption le 29 octobre, jour de la Fête nationale turque, a ajouté des vibrations supplémentaires.
Un peu plus d’un siècle après les crimes perpétués par les forces armées turques, la reconnaissance des faits continue de s’étendre et de s’affirmer. Quelle leçon de courage et de persévérance nous est donnée par celles et ceux qui continuent de se battre en mémoire des membres de leur famille. Exemplaire devoir de mémoire que la communauté arménienne continue de perpétuer dans le monde entier, afin que le monde sache, et n’oublie pas.
Voilà donc une première raison de diriger notre regard vers l’Arménie, une raison liée à l’Histoire. Mais il en est une autre liée au présent et au soulèvement des peuples que nous observons ces dernières semaines, sur tous les continents de l’Amérique du sud à l’Asie, du Chili à Hong Kong. Qui se souvient d’une révolution… arménienne ? C’était hier, au printemps 2018.
La révolution arménienne, de velours, de 2018
Les Arméniens ont envahi les rues de la capitale, Erevan, et ont fini par obtenir la démission du Premier ministre, Serge Sarkissian, en avril. Le « candidat du peuple », Nikol Pachninian, député de 44 ans, propose sa candidature. Après le refus de l’Assemblée nationale, Nikol Pachinian appelle les Arméniens à bloquer les routes, les aéroports, les transports publics. En moins de quinze jours, il est nommé Premier ministre.
Son programme de changement s’appuie sur celui de son parti le « Contrat Civil ». Lutte contre la corruption, redynamisation économique, et maintien des liens avec l’Union eurasiatique pour ne pas effrayer Moscou.
En moins de 15 jours, le changement de gouvernement a été réglé, avec des manifestations mais sans effusion de sang. Six mois plus tard, des élections législatives lui donneront une large majorité parlementaire, supportant ce programme politique.
Que peut-on apprendre de « la révolution de velours » de ce pays… ? Il semble tout d’abord nécessaire de tenir compte de deux paramètres spécifiques de l’Arménie : une faible population (environ 3 millions d’habitants), où les échanges et les contacts sont donc plus faciles entre les citoyens, et une aversion pour des positions politiques extrêmes, car la dureté de l’Histoire les ont rendu moins recevables.
Ses enseignements
Une « révolution de velours » peut avoir lieu à partir du moment où, premièrement, les forces de l’ordre, l’armée, ne sont pas structurellement mêlées au pouvoir en place, et où deuxièmement le jeu démocratique peut se dérouler par la réelle diversité des partis politiques.
Nous voyons en effet que lorsque les « structures de forces » (armées, police, forces de sécurité) font totalement partie du pouvoir, soit elles s’opposent au processus démocratique (Venezuela), soit elles le bloquent (Algérie).
Une révolution de velours peut avoir lieu, deuxièmement, si la différence des partis politiques n’est pas le résultat du jeu du « parti d’Etat » créant sa propre force, ou ses propres forces d’opposition, mais le jeu libre de la démocratie. Cette respiration démocratique politique est la deuxième et importante différence arménienne qui a permis à la révolution de rester « de velours ».
Nous devons rendre hommage à la sagesse arménienne d’avoir constitué un système de pouvoir qui ne crée pas de mélange, et de confusion entre forces d’Etat et gouvernement, et d’avoir su créer un équilibre démocratique entre les partis politiques.
Enfin, nous pouvons porter un troisième regard sur nos « voisins » arméniens concernant une difficulté politique et territoriale majeure, la lutte pour le Haut-Karabagh.
Guerres et tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
Si on posait la question : « Qu’est que le Haut-Karabagh, et où se situe-t-il ? » dans le cadre d’un « micro-trottoir » les réponses seraient certainement très difficiles. En quelques mots, quel est ce territoire ? Le Haut-Karabagh est une région montagneuse de 12.000 km², située à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, avec une population de 150.000 habitants, maintenant presque à 100% arménienne, et chrétienne. Sa situation géopolitique actuelle est complexe, car son histoire le fut.
Un rapide retour historique nous enseigne que ce territoire appartenant à l’Empire Perse, au 18e siècle et peuplé d’Arméniens, fut cédé à la Russie en 1805. Juste après la révolution soviétique, en 1921, le bureau caucasien du parti bolchevique le rattacha à l’Azerbaïdjan et, en 1923, constitue la région en « Oblast autonome du Haut Karabagh ».
Pendant 65 ans, la situation n’évolue pas. Profitant de la Perestroïka, la région demande son rattachement à l’Arménie soviétique en 1988 et essuyant un refus de la part de Moscou s’auto-proclame République indépendante en 1991. La même année, l’Arménie et l’Azerbaïdjan proclament leur indépendance. Celle du Haut-Karabagh, pourtant entérinée par un référendum où 82% de sa population soutient cette décision, n’est pas reconnue internationalement.
Des années de combats entre l’Azerbaïdjan et les Arméniens du Haut-Karabagh soutenus par l’Arménie s’ensuivront jusqu’à un cessez-le-feu en 1994.
Le Haut-Karabagh ou la République d’Artsakh
Ce territoire est donc actuellement toujours soutenu par Erevan et en conflit avec l’Azerbaïdjan. Les habitants ont fini par élaborer leur propre statut sous une forme républicaine, la République d’Artsakh, avec un Président, un parlement, et un gouvernement. Sa reconnaissance internationale reste à établir, mais sa volonté de faire partie un jour de l’Arménie est toujours aussi inébranlable.
La stratégie d’établissement des relations internationales revêt à ce jour deux formes : la mise en place de jumelage ou de charte d’amitié avec d’autres entités territoriales du monde entier (ville, département, région…) et l’organisation de conférences internationales. Plusieurs villes françaises, département ou région se sont déjà engagées dans cette première voie. Les conférences sont destinées à augmenter la visibilité de la situation de l’Artsakh, d’élargir les contacts internationaux à l’ensemble de la planète, et de les formaliser.
Une de ces conférences pour la justice et la paix vient de se tenir mi-octobre à Stepanakert… capitale de l’Artsakh, réunissant des participants de plusieurs dizaines de pays de l’Amérique du sud, du Moyen-Orient, et d’Europe. L’internationalisation est donc bien en marche.
En parallèle, des « démarches d’Etat » sont également entreprises. La plus récente est la venue aux Etats-Unis du ministre des Affaires étrangères artsakhiote, et sa visite au Congrès, qui lui a permis d’être présent au moment du vote de la reconnaissance du génocide arménien ! La prochaine sera la visite à Bruxelles du président de la République d’Artsakh, lui-même, les 8 et 9 novembre…
Une vision globale pour la paix
L’ensemble de ces stratégies ont pour objectif de pouvoir déposer, dans quelques temps, le dossier de la reconnaissance internationale au niveau des Etats et des institutions internationales avec un poids tout-à-fait nouveau. Le but est de rendre possible le rêve de chaque Arménien du Haut-Karabagh – la réunification avec l’Arménie.
Le groupe de Minsk de l’OSCE, en charge de régler ce problème, comprend outre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, neuf autre pays dont la France, la Russie et les Etats-Unis, tous trois co-présidents. Il leur appartiendra dans les prochaines années de résoudre de façon définitive ce différend.
Nul conflit ne saurait être éternel. Les Arméniens nous ont montré au cours de leur Histoire, millénaire, qu’ils savaient faire preuve de patience et de détermination. La décision récente de Washington vient, avec exemplarité, de nous le rappeler.