Turquie : malgré les tensions, des opportunités financières pour la France
Article paru sur Latribune.fr le 10 janvier 2020
L’actualité géopolitique est beaucoup plus importante qu’attendue au Proche et au Moyen-Orient. La Turquie prend des initiatives qui peuvent poser question sur ses relations économiques futures. Néanmoins, ce pays, par ses liens, sa proximité, présente des attractivités reconnues. N’y-aurait-il pas un gisement intéressant, du côté des startups turques, par exemple ?
Cette fin d’année 2019 et le tout début 2020 sont particulièrement agités sur le plan international, et en particulier dans la proximité méditerranéenne. Les initiatives géopolitiques turques sont nombreuses, en Syrie, autour de Chypre, et plus récemment en Libye.
Ces actions, soit militaires, soit de diplomatie forte, créent autour de la Turquie un halo défavorable, car porteur d’incertitudes. Mais tension, ne veut pas forcément dire risque de haut niveau, ni tension irrémédiable, ni persistante dans le temps.
Il convient donc de pondérer ces mêmes implications, et de regarder également leurs versants positifs, qui peuvent alors s’appeler, paix en Syrie et reconstruction, opportunités de gaz off-shore, et cessez-le-feu en Libye, conduisant à un apaisement régional.
La Turquie ne peut être sourde aux appels de la communauté internationale, même si sur le plan politique intérieur, le président turc a besoin de jouer le patriotisme (pour un temps) afin de palier une situation, politique et économique, beaucoup moins favorable que celle qu’il a connu entre 2000 et 2015….
La Turquie sait parfaitement ce qu’elle doit à ses partenaires économiques internationaux et en particulier, européens. Les réalités sont toujours incontournables.
L’impact des investissements étrangers
La Turquie comptait en 2017, plus de 58.000 entreprises impliquant des capitaux étrangers, contre seulement… 5.600, en 2002.
Cet exceptionnel développement des Investissements directs étrangers (IDE) s’est confirmé en 2018, avec un regain des flux d’investissements de 14,4% par rapport à 2017, pour atteindre un montant de 13,1 milliards de dollars. Ce montant se situe dans la moyenne des années 2012-2014, mais se place en deçà du montant de 2015 (18,9 milliards) et du record de 20 milliards de dollars, entre 2006 et 2008.
Mais qui sont les principaux investisseurs ? Au cours des 15 dernières années, ce sont, et de loin, les pays européens qui ont été les plus inspirés par les mesures d’ouverture économiques, et qui, en conséquence, ont été les investisseurs les plus importants.
En 2017, l’Union européenne représentait, à 28 pays, 65% des flux d’IDE, les Etats-Unis atteignant 3% seulement… La France est le 14e investisseur en flux entrant en Turquie et le 9e de l’Union européenne, avec 107 millions de dollars, juste devant… le Qatar! En 2018, les Pays-Bas ont été l’investisseur international numéro 1!
La répartition sectorielle des flux entrants met en avant l’importance des services qui représentent pratiquement 64% des flux de 2017. La France se doit de réfléchir et agir vis-à-vis d’un partenaire de proximité géographique, et de potentiel.
Dans quelle direction regarder ? Les startups !
Fort d’un très bon tissu industriel, et d’un très bon système de formation, la jeunesse turque s’est lancée depuis de nombreuses années dans ce nouvel eldorado que constitue l’entreprise innovante, dans tous les domaines, marketing, média, finance, et les nouvelles technologies.
Il faut également intégrer que pratiquement 50% de la population a moins de 30 ans. Fort d’un bon niveau d’éducation, et complètement dans son temps, très connectée, elle recherche toutes les opportunités d’innovation, pour satisfaire sa soif de consommation. Fidèle à la tradition, et au savoir-faire turc, elle développe une très grande capacité de travail.
La perméabilité des agents économiques turcs aux méthodes et savoir-faire extérieurs est bien connue. Les startups ne feront donc pas exception, et sauront appliquer soit des modèles spécifiques, soit les recommandations particulières pour assurer leur développement.
Ces facteurs, tous très positifs, poussent donc les jeunes disposant de compétences et d’une idée, ou d’une technologie, à se lancer dans la création d’entreprise. Il faut absolument prendre en compte l’avantage qu’offre la Turquie dans la rapidité des délais d’ouverture d’une société, et également du faible coût de cette procédure. Sur ces deux critères, la Turquie est plus performante que la moyenne européenne.
Le tissu des startups turques
La Turquie voit environ 550 startups se créer chaque année. Les Business Angels et le Venture Capital (VC) ont contribué à des levées de fonds d’un montant 488 millions de dollars entre 2010 et 2018, et constitue ainsi le foyer de création le plus important de la zone sud-est de l’Europe.
L’arrivée de nouveaux fonds d’investissement devraient hisser le niveau d’investissement annuel à près de 200 millions de dollars, selon les estimations officielles du Bureau des Investissements de la République de Turquie. Bien que ces chiffres soient naturellement encore inférieurs à ceux des pays européens, des « sorties » particulièrement fructueuses ont déjà eu lieu.
Rien que pour l’année 2018, 3 startups turques ont été chacune acquise pour plus de 250 millions de dollars. Le début de l’année 2019 a été très prometteur, puisque sur le seul premier trimestre, 2 startups ont été cédées pour plus de 100 millions de dollars chacune.
Un domaine, entre autres, connaît une réelle effervescence, celui de la Fintech. La Turquie pourrait-elle devenir un autre vivier à l’exemple d’Israël ? Mais si ce secteur est en pointe, l’activité dans les Technologies de l’Information et de la Communication est également très prometteuse. Les premiers investisseurs seront les premiers servis.
La Turquie seule peut-elle offrir à son réseau de startups en plein développement ce qu’il attend, ce dont il a besoin ? A cette question, la réponse est non, et pour plusieurs raisons.
Insuffisances et besoins
Tout d’abord, le système financier local ne dispose pas de suffisamment de ressources en Venture Capital. Deuxièmement, la faiblesse en Recherche et Développement du tissu industriel turc ne permet pas d’offrir à ces jeunes entreprises tous les outils technologiques dont elles ont besoin. Troisièmement, les startups turcs ont un rêve et une obligation, à savoir sortir rapidement du contexte local, pour acquérir le plus vite possible une vision globale de leurs opportunités, un accès au marché international, tant vers les clients que vers les ressources financières. Enfin, les investisseurs internationaux possèdent les outils et une parfaire maîtrise des modèles de développement!
Il ne faut naturellement pas ignorer les ressources dont dispose la Turquie elle-même. Les initiatives, surtout de communication, en tant que facilitateur, développées par Turkish Airlines, par exemple, sont intéressantes. Elles facilitent la mise en relation de jeunes pousses locales avec le monde turc des affaires, et les entreprises internationales. Mais si de telles initiatives créent de la visibilité, elles ne répondent pas à l’ensemble des besoins. C’est, en quelque sorte, l’arbre qui cache la forêt.
De plus, la Turquie représente un Hub régional. Il faut intégrer les opportunités représentées par les pays de la région, comme le Liban, et la Syrie, où la création de startups est un moyen pertinent pour la jeunesse d’essayer de sortir, par soi-même, des difficultés auxquelles l’économie de ces pays est confrontée.
Une stratégie, raisonnablement audacieuse
Il faut donc oser. Il faut donc un tout petit d’audace, car les risques sont faibles, la création de structure de développement à l »extérieur de la Turquie, met les investisseurs à l’abri du « risque pays », et les « tickets d’entrée » sont intéressants. Nous allons poursuivre et regarder de plus près l’écosystème des startups turques. Il faut encourager les investisseurs français en Venture Capital, et les Family Offices, à apporter leurs capacités à de jeunes voisins, particulièrement performants.
N’oublions pas que 75% des investissements en Israël, startup nation, proviennent de l’étranger. Nombreux sont donc ceux qui veulent investir dans l’avenir, hors de leurs frontières. Cette option sera toujours payante. Google s’intéresserait à ce tissu d’opportunités. Les investisseurs français vont-ils laisser à d’autres le soin de saisir les pépites turques ?
Les groupes bancaires français ont su prendre des positions dans le réseau financier turc. Le temps n’est-il pas venu pour les « Venture Capital » hexagonaux de développer leur stratégie en Turquie ?