Pétrole : le tournant de 2015
Loin de ce qui avait pu être affirmé il y a quelques mois, les prix pétroliers ne tangenteront pas les 200 dollars le baril, mais vont rester sous les 50. Voici pourquoi.
Nous assistons depuis le 6 juillet 2015 à une nouvelle baisse spectaculaire du prix du baril de pétrole. Le « baril de Brent », référence européenne, vient de passer de 61 à 49 dollars, une baisse de 20%… ! En tout juste un mois… !
Nous nous retrouvons presque au niveau des prix les plus bas du mois de janvier, après la chute du dernier trimesre 2014, et le rebond à 65 dollars au printemps.
Les prévisions établies, il y a quelques semaines par les organismes internationaux, tablaient sur un prix du baril à 60 dollar en moyenne sur l’année…
Que se passe-t-il ?
Nous arrivons à un carrefour, où les routes qui s’appellent évolution de la production, tendance de la consommation, niveau de stock, convergent pour prendre un tournant que l’on voulait ne pas voir venir…
La tendance de la production 2015
Après la spectaculaire chute des prix, nombreux étaient les commentaires expliquant que ce nouveau niveau de prix allait conduire les Etats-Unis à réduire leur production de « pétrole de schiste » car leur coût d’extraction élevé, autour de 60 dollars, les ferait produire à perte.
Le tableau ci-dessus montre clairement que sur les 6 premiers mois de 2015 la production américaine a continué de progresser. Les perspectives des 6 prochains mois sont à la décélération, avec une projection de production de 9,2 Millions de barils par jour (Mbd) en Décembre. Néanmoins cela donnera une production moyenne de 2015 autour de 9,3 Mbd, soit… 10% de plus que la production moyenne de 2014..!
(cette abréviation Mbd, million de barils par jour, sera utilisé dans la suite de cet article)
Cela apparaît d’autant plus étonnant si l’on regarde le nombre de puits en production. L’EIA (Bureau d’information sur l’énergie aux Etats-Unis) indique 1539 puits actifs à fin décembre 2014 mais seulement… 662 à fin mai 2015.
La réduction des coûts pour faire face à la baisse des prix s’est donc porté sur la réduction de 60% (!) du nombre de puits en activité, mais cette réduction spectaculaire du nombre de puits a permis aux puits restés en activité de produire plus..!
Et les Etats-Unis ne sont pas seuls dans cette situation. Certes avec des volumes beaucoup plus faibles, le Canada continue également d’augmenter ses productions.
Certes cette augmentation ne représente qu’un rythme de 0,3 Mbd, mais, dans un marché déjà excédentaire…. Du côté russe, l’année 2014 s’est terminée à 10,58 Mbd, soit…0,7% de progression et il est question de 1% de progression pour 2015…
Et pour le futur ? Les regards se tournent vers l’Iran qui aura certainement dans les temps à venir comme objectif d’augmenter ses recettes pétrolières.
Dans le carrefour du pétrole 2015 nous sommes donc dans une trajectoire de production toujours à la hausse.
Mais quid de la demande ?
La tendance de la consommation 2015
Si l’on considère dans un premier temps les tendances macro-économiques, et la croissance des grands pays industriels, il convient de dire que l’année 2015 est en ralentissement par rapport soit aux prévisions soit aux taux de croissance 2014.
La Chine ralentit, et sa hausse de consommation de pétrole en 2015 se situerait à 0,3 Mbd seulement. Il y a seulement 5 ans, la hausse de la consommation chinoise se situait autour de 1 Mbd… Ralentissement spectaculaire donc.
Aux Etat-Unis, la croissance économique se profile à 1% de moins que prévu. La consommation de brut 2015 ne devrait donc pas être au rendez-vous des projections et se limiter à 0,2 – 0,3 Mbd. Nous sommes donc aux Etat-Unis aussi dans un processus de ralentissement de la demande de pétrole brut.
Et l’Europe ?
Elle continue sa diminution-stagnation de consommation de pétrole, sous le cumul des effets d’une croissance faible, du développement des énergies renouvelables et des progrès techniques conduisant à la réduction de la consommation industrielle et automobile comme le montre le graphique ci-dessous.
La Russie, très durement touchée par la réduction du prix du baril, à la fois par son aspect économique, budgétaire, et monétaire, connaîtra au moins en 2015, voire également 2016, une réduction de sa consommation intérieure de pétrole.
Seule la zone asiatique (Japon, Corée du Sud…) échappe à cette tendance, mais les prévisions régionales anticipent une faible hausse de 0,3 Mbd en 2015 et 2016.
La consommation mondiale est donc globalement orientée dans une évolution de très faible croissance, inférieure à 1%, et nous pourrions même prochainement connaître une stagnation de la consommation de pétrole d’une année sur l’autre.
Cette analyse de la production et de la consommation suffit-elle à décrire la situation mondiale ?
Non, car il convient d’y ajouter un paramètre très rarement commenté, les stocks et leurs variations.
Les stocks américains
Etant donné l’importance de l’économie américaine dans le marché pétrolier, il est intéressant de regarder l’évolution des stocks. Si on prend la précaution de regarder un historique depuis 2012, on pourra constater que le niveau des stocks commerciaux des Etats-Unis est resté très stable jusqu’en 2014, dans une fourchette moyenne de 370-380 Millions de barils (Mb). Les stocks à fin 2014 sont donc dans la lignée de l’historique.
Il est donc étonnant, et intéressant, de constater que la très forte baisse des prix s’est accompagnée aux Etats-Unis d’une augmentation spectaculaire des stocks, de plus de 100 millions de barils, soit en 4 mois une hausse de plus de 25% ! Si l’on ramène ce volume au nombre de jours d’opération, on s’aperçoit quel les pétroliers américains ont acheté, sur cinq mois, 1 million de barils par jour, au-dessus de leurs besoins.
On ne peut s’empêcher de penser à l’intérêt à la fois, de réaliser des achats à prix bas, et aussi au soutien que ce volume a apporté à la remontée du cours du brut sur cette période…
Se pose évidemment maintenant la question de savoir quel usage économique et stratégique les pétroliers américains vont faire d’un tel volume excédentaire ? La baisse de ces stocks d’un volume de 10 millions de barils sur le seul mois de juillet, c’est-à-dire une réduction de la demande sur le marché mondial de 0,5 Mbd, n’a pu que contribuer à la baisse des prix de ces dernières semaines.
La gestion des stocks de pétrole brut des Etats-Unis n’est donc pas sans répercussion sur la situation sur le marché mondial, en considérant l’importance des volumes impliqués.
Le grand carrefour
2015 se place donc dans une situation très particulière, et à un carrefour où les routes de l’évolution de la production, de la consommation, et les niveaux de stocks, ne se trouvent pas tout à fait dans les directions attendues
La production continue sa progression, mais la demande de brut poursuit le ralentissement de sa croissance.
L’excédent de production au lieu de se résorber… s’accroît… d’autant plus que la demande a été soutenue (artificiellement) par une augmentation spectaculaire des stocks aux Etats-Unis. Le prix du baril au lieu de partir vers les 200 dollars comme il avait été pronostiqué il y a quelques années, sous le prétexte d’une soif toujours grandissante d’or noir, et d’une production insuffisante, repasse en 2015 sous la barre des 50 dollars parce la demande s’affaiblit notablement, et la production continue de progresser
La situation économique mondiale, hésitante, peut nous laisser entrevoir une stagnation de la demande de brut, aidée en cela par la progression lente, mais constante des énergies renouvelables. L’éolien représente cette année 3% des besoins en énergie des Etats-Unis…
L’excédent de production ne sera pas absorbé par une augmentation naturelle de la demande, mais par une réduction volontaire de la production… La prochaine réunion de l’OPEP sera intéressante… Réduire la production au lieu de l’augmenter ! 2015 est un grand carrefour.