Émirats arabes unis : l’innovation permanente mise au service du développement national
Article paru sur La Tribune le 30 mars 2021
Orientant très tôt leur pays vers la science et la recherche spatiale, les Émirats ont aussi pris le virage du numérique au service des citoyens. Il s’agit d’une stratégie globale, d’État. Une nouvelle étape vient d’être franchie dans le secteur de la santé. Pour combattre l’épidémie Covid-19, un partenariat public-privé et des accords internationaux ont produit des résultats remarqués.
Le programme spatial émirien a débuté il y a 12 ans avec le premier lancement d’un satellite d’observation, financé par les Émirats, mais construit en Corée du Sud. Cinq ans plus tard, la création d’une Agence Spatiale nationale allait donner une nouvelle impulsion au développement scientifique et spatial au pays.
L’espace avant toute chose
Des accords ont alors été signés avec les grandes agences spatiales, américaine, russe et française. Trois étapes clés ont depuis lors été franchies : la construction de satellites aux Émirats, le lancement d’un astronaute émirien, en 2019, vers la Station spatiale internationale, la mise en orbite d’une sonde autour de Mars en février… 2021!
Aucun pays arabe autre que les Emirats arabes unis (EAU) ne peuvent se flatter d’une telle réussite, et peu de pays dans le monde, en dehors des grandes puissances, Etats-Unis, Chine, Russie, Japon, peuvent présenter un tel palmarès.
Les ressources financières sont disponibles dans le pays, mais encore faut-il décider de les utiliser à bon escient. Ces opérations scientifiques ont été possibles parce qu’il y avait à la base une vision, qui s’est traduite par une véritable stratégie, et que le gouvernement émirien a eu, sur le long terme, la volonté de la mettre en place.
Vision, stratégie, volonté politique sont les éléments qui expliquent les succès dans le domaine spatial. Ce secteur a en quelque sort servi de modèle pour étendre le développement de la Fédération, vers d’autres domaines.
Le développement du numérique et de l’intelligence artificielle
Le même processus d’analyse et d’implantation stratégique a été suivi dans le domaine de l’informatique avancée. Après la création de l’Agence spatiale en 2014, la Fédération a lancé en octobre 2017 le projet « Vision des EAU sur l’intelligence artificielle ».
Les objectifs du programme mettent en lumière la volonté des dirigeants de donner à leur pays toutes les chances de figurer dans le peloton de tête mondial des Etats développés dans les prochaines décennies.
Les conclusions d’un rapport de PWC Middle East indiquent que 14% du PNB 2030 des Emirats devraient provenir de toutes les composantes de l’activité liée à l’intelligence artificielle (IA), ce qui représenterait 96 milliards de dollars. L’Etat émirien estime à 3 milliards de dollars les économies de fonctionnement qu’il pourrait réaliser grâce aux nouvelles technologies de l’IA.
Quelques jours après cette annonce gouvernementale, était décidée la création d’un ministère de l’Intelligence artificielle. Autre première mondiale ! C’est un jeune émirien de 27 ans, Omar Bin Sultan Al Olama, qui fut nommé à sa tête. La volonté est claire, les moyens sont emblématiques.
Après l’espace et l’intelligence artificielle, c’est maintenant dans les technologies de la santé que les EAU ont décidé d’entrer. Approche globale et systématique, que bien des pays développés devraient regarder de près!
Fondation de « Group 42 » et son extension santé
En relation avec la stratégie de développement IA, avait été créée en 2018 la société « Group 42 » ou G42, basée à Abu Dhabi, et spécialisée dans ce domaine et dans le « cloud computing ». La société a été constituée en relation avec le Sheikh Tahnoon, frère de Mohammed Ben Zayed, Prince héritier des EAU. Elle est destinée à s’inscrire durablement dans la stratégie de développement des Émirats, dans le cadre d’un partenariat public-privé, ciblant les secteurs stratégiques clés. Ces options font également partie du plan global de transition énergétique des Émirats.
La société s’est fait remarquer l’an dernier en signant des accords de coopération avec l’entreprise de biotech chinoise Sinopharm, en vue de produire des vaccins anti-Covid. De plus, G42 a créé un partenariat avec la firme chinoise de séquence génétique BGI Group, dans le but d’ouvrir un laboratoire à Abu Dhabi dédié à la lutte contre le coronavirus.
L’objectif de cet accord était naturellement de détecter et de suivre le développement des infections afin de pouvoir réaliser des essais de vaccin. En juillet de l’an passé, G42 commençait déjà des essais cliniques de niveau III. Plus récemment, lundi 29 avril, G42 et Sinopharm CNBG annonçaient le lancement d’une joint-venture, avec comme objectif de produire jusqu’à 200 millions de doses de vaccin par an aux EAU. Nommé Hayat-Vax (Hayat signifiant vie en arabe), le vaccin fera du pays un pôle de production et d’approvisionnement pour tout le Moyen-Orient.
Malgré ses succès, la relation privilégiée entre les deux entreprises, signe d’une bonne entente entre la Chine et les EAU, ne pouvait pas laisser Washington insensible.
Préoccupations américaines, soft power et sécurité
La présence accrue de sociétés technologiques chinoises dans la Péninsule Arabique a naturellement rencontré la vigilance des Etats-Unis.
Les services américains ont en effet identifié que la société G42 utilise le Cloud de la société Huawei pour la conservation de ses données. Les méfiances américaines et internationales vis-à-vis de cette société et sa technologie 5G sont bien connues. A ce fait technologique s’ajoute une donnée humaine, Dan Hu, dirigeant de la société spécialisée « Cloud » de G42 est un ancien de….Huawei.
Cela a semblé suffisant pour que les services du Département d’Etat américain s’opposent aux tests du personnel de l’ambassade, par crainte que leurs données médicales ne se retrouvent dans les mains chinoises.
Soft Power et espionnage peuvent avoir des frontières communes, mais il faut également tenir compte des réalités. Sinopharm a offert aux Émirats et à G42 un réel transfert de technologie, et une opportunité de fabriquer un vaccin contre le Covid-19 pour tous les pays de la région.
A ce jour les Émirats Arabes-Unis sont en deuxième position mondiale derrière Israël pour le nombre de vaccins pour 100 habitants (prenant en compte la deuxième injection). Israël, à ce jour, a administré 112 doses et les EAU, 75. A titre de comparaison, la France serait à 13.
D’un point de vue stratégie de développement technologique, et également sanitaire, cette situation est à l’évidence très positive pour l’entreprise et ses partenaires. Mais G42 ne semble pas vouloir s’arrêter et se limiter à ce secteur de la santé.
Les projets avec Israël
En fin d’année 2020, des actes diplomatiques nouveaux et inattendus ont eu lieu au Moyen-Orient, autour des relations entre l’État d’Israël et certains pays arabes. Un des plus emblématiques fut la reconnaissance des États et l’ouverture de liens diplomatiques entre Jérusalem et Abu Dhabi.
A l’image de cette évolution et de cette ouverture, G42, issu d’un partenariat public-privé, a annoncé l’ouverture d’un bureau à Tel-Aviv. Elle fut la première entreprise des EAU à le faire. L’objectif de la société, et des Émirats, est de créer des partenariats technologiques dans de très nombreux domaines, intelligence artificielle, technologie des ressources en eau et de l’agriculture, énergie renouvelable, et développement de la ville intelligente.
Le Groupe avait signé au préalable des « protocoles d’accord » avec les sociétés israéliennes Rafael et IAI (Israel Aerospace Industries) afin de développer des solutions face au coronavirus. Un autre partenariat a même été annoncé avec une start-up israélienne en pointe dans la détection du virus dans l’air exhalé par une personne. Le troisième volet de la diversification technologique des Émirats, dans le domaine de la santé, est donc en train de se mettre en place, rapidement, par des partenariats internationaux diversifiés.
La question que l’on peut se poser est de savoir si nous n’avons pas devant nous un modèle stratégique de développement, à l’échelle d’un pays. Les Émirats disposent certes de recettes financières importantes, et d’un faible nombre d’habitants, quelque 10 millions, facilitant un développement sur une échelle plus réduite. Mais les succès accumulés en une dizaine d’années seulement, ce qui est relativement rapide, doit retenir l’attention.
D’autres États arabes, plus peuplés, riches en pétrole et gaz, pourraient être tentés de suivre cette spirale technologique de développement, pour le plus grand bien de leur population.