DONBASS, Le Grand Carrefour
D’un point de vue géographique, le Donbass constitue le carrefour, le trait-d’union, entre la Russie et l’Ukraine. La Russie, ou plus exactement le pouvoir russe, a décidé de faire un « casus belli » de son annexion. Mais quel prix est-il prêt à payer ? Pour le Kremlin, le coût militaire, politique et économique de ces 7 premières semaines de guerre est déjà considérable. Les informations convergent vers un chiffre de 30.000 morts et blessés. La Russie ne peut être qu’un pays fissuré par ce conflit, beaucoup plus que la propagande ne le clame. Le précipice économique qui s’annonce ne pourra qu’élargir la brèche entre la population et le pouvoir. Le système politique et militaire russe va-t-il accepter de payer un prix encore plus élevé, pour s’emparer du Donbass qu’il contrôle déjà en grande partie ?
Le Donbass se situe à la partie extrême Est de l’Ukraine, et possède donc une frontière commune avec la Russie. Il est constitué de 2 Gouvernorats (ou Oblasts) celui de Louhansk et celui de Donetsk.
Si une partie importante de la population de ces 2 territoires est russophone, il est intéressant de se reporter au scrutin d’indépendance du 1er Décembre 1991.
La dichotomie langue et appartenance nationale
La carte ci-dessous présente, les résultats de ce vote dans les 30 territoires administratifs, et on peut y découvrir que ces 2 régions, russophones, ont chacune voté à 83% en faveur de l’indépendance de l’Ukraine et donc de sa séparation, politique, avec la Russie.
Cela met en évidence que la pratique d’une langue ne signifie pas, systématiquement, le désir de celui qui la parle d’être rattaché à l’entité nationale qui la parle de façon majoritaire (les citoyens belges et suisses francophones, tout en étant attachés à la langue française qu’ils pratiquent, ne souhaitent pas particulièrement devenir français……)
Il est fondamental de savoir que la Russie, dans son histoire, représente la parfaire illustration de cette séparation, cette dichotomie, entre pratique d’une langue et appartenance à une nation. Lors du recensement de 1897, donc au temps de l’Empire russe, seuls 44% des citoyens indiquaient le Russe comme langue maternelle…. ! 18% citaient l’ukrainien…..et presque 11% une langue d’origine turque…..
L’histoire de la « mosaïque territoriale russe » transparaît pleinement dans cette magnifique « mosaïque linguistique ».
Ces éléments historiques, et structurels, permettent à l’inverse, de fortement interroger le bien-fondé de la pensée des hommes politiques russes contemporains, d’assimiler une population russophone à une volonté de nationalité russe….. ! En d’autres termes, il s’agit d’une faute culturelle profonde, mais surtout d’une manipulation politique froidement assumée. Elle illustre, au 21ème siècle, la volonté d’un nouvel Imperium monolithique russe, se revendiquant de l’Histoire, mais en réalité, en totale opposition avec cette Histoire.
Le vote de la population russophone du Donbass en 1991 est la parfaite illustration de la possibilité de cette dualité. La volonté de la Russie, en 2014, après Maïdan d’exploiter cette situation à son profit, en envoyant dans ces territoires l’armée russe, et en y constituant des milices, est une cynique opération de revanche politique du pouvoir Russe vis-à-vis de l’Ukraine qui fondamentalement avait décidé de s’éloigner d’elle.
A la veille de l’invasion du 24 Février, les groupes séparatistes et leurs alliés russes, après 8 années de combats contrôlaient environ, et seulement, 50% du territoire de Donbass, zone hachurée de la carte ci-dessous.
On doit ajouter que ces territoires connus sous les noms de Républiques auto-proclamées de Louhansk et de Donetsk, ont déjà, il y a 2 mois déclaré leur indépendance. Le processus politique de leur futur rattachement à la Russie est donc très avancé, même si une partie de la population ne le souhaite pas.
On mesure mieux la folie de cette opération d’invasion, eu égard à la faible conquête de territoire. La Russie a lancé 200.000 de ses soldats à l’assaut de l’Ukraine, pour in fine, après 55 jours de combat, contrôler environ 65% du Donbass
Elle a certes également progressé vers le sud, en se préparant à prendre Marioupol et à étendre son emprise, de cette ville, jusqu’à la Crimée.
Mais d’effroyables destructions humaines et matérielles vont continuer à se poursuivre.
La deuxième phase de la guerre
Le Kremlin avait la possibilité d’entamer des négociations à partir des positions territoriales nouvellement acquises. Au lieu de cela, le pouvoir russe a décidé de poursuivre les combats….. Il a décidé de « traverser le carrefour du Donbass »….Il pouvait éviter de le faire. Le prix a payé sera encore plus élevé…
Les forces armées russes ont déjà payé un prix très élevé par le volume des matériels qui ont été détruits. Les estimations sont d’environ 350 à 400 chars, et autour de 2.000 autres engins blindés. Mais le prix le plus élevé est naturellement le prix humain. Les chiffres oscillent entre 25.000 et 30 .000 morts et blessés.
A l’échelle de la population française, qui représente 45% (!) de la population russe, cela signifierait entre 10 .000 et 13.000 morts et blessés pour l’armée française….. ! Cette comparaison permet de mieux souligner l’ampleur de ces pertes, et le retentissement, à venir, parmi la population, russe.
La poursuite des combats pour conquérir le périmètre dans le cercle rouge de la carte ci-dessus, 35% du Donbass, va se révéler plus que coûteuse. Elle rendra la situation économique russe encore plus difficilement supportable pour la population dans les semaines, et les mois à venir. L’arrêt des achats de pétrole russe par les pays européens va très certainement se mettre en place. Le désengagement accéléré concernant le gaz russe, suivra. Soulignons que 40% du budget de l’État russe dépend des recettes issues des exportations du gaz et du pétrole.
Les pertes en hommes et en matériels vont continuer leur macabre escalade. Si de nouveaux massacres sont commis par les troupes russes, la communauté internationale va accélérer poursuites et sanctions.
Il faut s’attendre à ce que l’Ukraine porte à la Russie des coups militaires aussi durs qu’elle en a déjà porté avec la destruction du Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire.
La violence de l’action militaire russe ne va que renforcer la volonté de la Finlande et de la Suède d’intégrer l’OTAN, elle-même, ressoudée autour des États-Unis.
L’invasion de l’Ukraine va produire des résultats que le Kremlin ni ne souhaitait, ni ne voulait, une Ukraine encore plus orientée vers l’Union Européenne, et l’OTAN plus fort et étendu…..
Une bombe qui coûte 10.000 € suffit à détruire un immeuble ou une installation qui ont coûté 10 millions d’Euros. Cela veut dire que la reconstruction coûte 1.000 fois plus cher que la guerre. Comment la Russie dans les territoires qu’elle aura conquis pourra-t-elle faire face aux coûts de ses propres destructions, et donc à la reconstruction ? Si elle ne le fait pas, les populations « conquises » pourraient cruellement lui rappeler.
Quelle que soit la durée du conflit militaire, les conséquences pour la Russie, l’Ukraine et l’Unions Européenne se vivront dans le temps long, d’une à deux générations humaines, 25 à 50 ans. Blessures et cicatrices perdureront.
La traversée du carrefour du Donbass va se révéler infiniment plus dangereuse que prévue pour la Russie. Pour son dirigeant, aussi.