Après l’Ukraine, une autre crise, l’Iran ?

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Depuis fin février, notre quotidien est tristement accompagné des sanglantes nouvelles en provenance d’Ukraine. Le pouvoir de Moscou en voulant s’emparer de l’Ukraine a provoqué une crise mondiale, à travers les répercussions énergétiques et agroalimentaires. D’autres nuages, plus loin de nous sont présents en Mer de Chine. Mais plus proche, le Moyen-Orient, et spécifiquement l’Iran pourrait abriter dans les tous prochains mois d’importants soubresauts.

Nous sommes habitués à voir Téhéran faire les titres de l’actualité, et pas seulement concernant les négociations sur le dossier nucléaire. Nous sommes spectateurs des actions militaires des Gardiens de la Révolution de la République Islamique, en Irak ou en Arabie Saoudite. Il s’y ajoute des opérations sophistiquées menées par les services israéliens sur le sol iranien, contre des installations, ou des responsables scientifiques ou militaires de haut rang. Les enjeux portés par le dossier nucléaire lui confèrent la plus grande visibilité.

« No nuclear Iran »

Il est primordial de noter que, quelle que soit la majorité politique à Washington, démocrate ou républicain, le même objectif demeure : « pas d’Iran nucléaire ». Cette très simple expression, comme les aiment les anglo-saxons, résume parfaitement l’option stratégique américaine. Cette option dans sa limpidité est reprise depuis des années tant par le Département de la Défense que par le Département d’État.

Si l’objectif est à la fois clair et bipartisan, les stratégies diffèrent entre démocrates et républicains. Les premiers ont donné la priorité à la négociation et à la conclusion d’un accord, même si le Président Obama a approuvé des actions radicales, sabotages et élimination de hauts responsables iraniens, entre 2008 et 20212. Mais finalement Rohani a accepté de négocier dès son élection en Juin 2013, pour finalement signer un accord en juillet 2015.

Les républicains ont choisi une stratégie combative, en sortant de l’accord dit, JCPOA, et en agissant fortement contre toute exportation de pétrole iranien.

De telles tensions sur un sujet aussi sensible et dangereux pourraient être porteuses d’une crise majeure. La reprise des négociations à Vienne depuis l’élection de Joe Biden, a fortement réduit ce risque, même si les négociateurs iraniens se montrent exigeants, et pas particulièrement pressés d’aboutir. Le Qatar vient d’offrir ses bons offices, et Doha comme lieu de contact entre négociateurs américains et iraniens.

Le risque demeure avec l’escalade des opérations menées en territoire iranien par les services israéliens….Mais ceci reste très étroitement calibré, de part et d’autre, afin de ne pas amorcer une inarrêtable escalade.

Alors, d’où peut venir le risque ? De l’intérieur même de l’Iran… !

La dangereuse situation économique intérieure

Les sanctions américaine sur la restriction des exportations pétrolières iraniennes n’ont pas été déterminantes dans la détérioration de l’économie iranienne, comme on l’entend trop souvent.

Avant la sortie des États-Unis de l’accord de 2015, la production pétrolière de l’Iran atteignait 4 millions de barils par jour. A la fin du règne du Shah, elle approchait les 6 millions….. Or à la fin des années ’70 l’Iran affichait 40 millions d’habitants. Actuellement la population iranienne atteint 83 millions.

Après 43 années de République Islamique, la production de pétrole PAR HABITANT a ainsi été divisée par ….3 ! Voilà la principale raison de l’effondrement de la richesse du pays, pourtant classé 3ème réserve mondiale. L’absence d’investissement, sur une très longue période est donc la principale cause de cette régression pétrolière.

La décision américaine de 2018 a constitué un accélérateur du déclin économique, mais n’en constitue nullement la cause fondamentale. Elle a augmenté la dépréciation monétaire du Rial, plus de 40%, a constitué le moteur de l’inflation, et donc la hausse des prix, premier facteur de l’insatisfaction populaire. S’y ajoute le chômage…..estimé à plus de 25% parmi la jeunesse.

La situation actuelle est donc le résultat d’une lente et continuelle dégradation de l’économie iranienne depuis la naissance de la République Islamique. Les courbes et graphiques sur 40 ans sont sans appel….A ces paramètres purement économiques s’ajoutent la corruption régnant dans l’administration, les structures économiques créées par les Gardiens de la Révolution, et enfin les fondations religieuses…..20 à 25% de l’économie iranienne est ainsi administrée par ces deux derniers types de structure.

Ces profonds déséquilibres économiques, ont été accentués par l’absence d’investissements productifs, la priorité ayant été donnée aux investissements militaires et nucléaires, et aux contributions financières dans l’ensemble des pays de l’arc chiite, Irak, Syrie, Liban, et Yémen, dans un but fondamentalement politique.

Cette détérioration économique a créé une situation où au moins 15% de la population vit sous le seuil de pauvreté…… La naturelle grogne sociale, se transforme journellement en manifestations sociales.

Des iraniens en permanence dans la rue

Même si les médias en France n’en font pas mention, des manifestations populaires de centaines ou de milliers de personnes se déroulent chaque jour dans le pays, et concernent l’ensemble des catégories sociales.

Les enseignants réclament une revalorisation de leur salaire, à cause d’un pouvoir d’achat rogné chaque mois, et de plus en plus, par l’inflation.

Les ouvriers de l’industrie pétrolière et métallurgique sont conduits à des « débrayages » fréquents à cause des conditions de travail, mais surtout pour leurs arriérés de salaire.

Les retraités sont forcés également d’agir soit pour la revalorisation de leur retraire rongée par l’inflation, soit pour manifester contre des banques ou institutions financières qui ne peuvent leur rembourser leur épargne. Plusieurs institutions reprises par des Gardiens de la Révolution ont vu leurs capitaux disparaître et donc les déposants ruiner….

Outre un « tronc commun » de demandes économiques et financières, il en est un autre qui est tout-à-fait audible, il s’agit des slogans scandés par les manifestants.

De Téhéran à Mechhed, et d’Ahvaz à Ispahan, ou dans les villes moyennes, on entend les mêmes slogans : « mort au guide, mort à Raïssi » au milieu des demandes catégorielles. On assiste donc là à un basculement vers le politique, des demandes, initialement économiques. On doit se souvenir du slogan annonciateur, lancé dans les manifestations de 2018 : « l’ennemi est ici, mais on nous dit que c’est l’Amérique ».

Ce basculement est le fruit de la dureté et de la durée de la crise, ainsi que de l’accumulation de promesses d’amélioration économique, jamais tenues par le pouvoir. Au contraire, la décision récente de supprimer le taux de change préférentiel, impactant les composants des denrées de première nécessité, à créer une spirale de la hausse du prix du pain…..

La crise économique, se transforme un peu plus chaque jour en crise sociale et donc politique. La presse, pourtant bienveillante à l’égard du guide suprême et du gouvernement, lance chaque jour des cris d’alerte. Les journaux sont pratiquement unanimes, une révolte est assurée, si des décisions drastiques ne sont pas prises.

Or le pouvoir est englué dans sa radicalité. Il faut se référer à cette terrible phrase prononcée par Khamenei, le guide suprême en décembre 2019 : « entre les demandes du peuple et les objectifs de la République islamique, je choisirai toujours les objectifs ». Il ne faut donc pas s’attendre à un changement de cap.

La voie de la violence semble donc se dessiner, et en réalité elle a déjà commencé.

Les actions journalières des Unités de Résistance

Nous n’en entendons pratiquement pas parler, et pratiquement aucune image est présentée dans les médias français, mais chaque jour, ou plus exactement chaque nuit, des actes de résistance sont réalisés par des groupes structurés, dénommés Unités de Résistance.

Ils revêtent des formes très différentes, allant de l’action psychologique, affichage et graffiti, à l’incendie de panneaux aux effigies des gouvernants, jusqu’au lancement de cocktails molotov contre les bâtiments emblématiques du régime.

teheran
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Ces opérations, qui se déroulent chaque nuit depuis des mois, sont largement documentées par des images et des vidéos, disponibles sur les réseaux sociaux et mis en circulation par le Conseil National de la Résistance Iranienne.

Ce qu’il faut bien voir, c’est qu’il ne s’agit nullement d’actes peu nombreux initiés des individus isolés. Il se lève actuellement en Iran une vaque de révolte, organisée, couvrant grandes villes et villes moyennes, dans les 31 provinces du pays.

Il s’agit d’un processus structuré, où les jeunes et les femmes jouent un rôle très important. Le taux de chômage et la répression contre la population féminine, alimentent le ressentiment de ces deux catégories sociales qui subissant les conséquences des choix ultra-conservateurs de la République islamique.

Nous ne savons ni le jour ni l’heure, mais nous devons nous attendre à l’apparition d’explosions populaires en Iran.

Le pouvoir s’y prépare également, puisqu’après l’armée, et les Gardiens de la Révolution, un 3ème Commandement, dépendant directement du guide, et regroupant toutes les forces de police et de sécurité, a été créé il y a quelques mois.

Nous devons nous attendre à des révoltes et à de lourds affrontements.

Les pays occidentaux doivent se préparer à voir cet affrontement survenir. Face à ce combat, il faudra que les démocraties, comme dans la situation ukrainienne, soient à côté du peuple, afin qu’il gagne son combat pour la liberté. Plus de 40 ans d’ultra conservatisme religieux ont construit un long tunnel.

L’Iran possède tant de richesses, historiques, intellectuelles, et énergétiques, qu’elle se doit de jouer un rôle à la mesure de ses potentiels dans les prochaines années, quand elle sera libérée de ses servitudes idéologiques actuelles. L’Europe doit être pour ce futur, un partenaire de premier rang. Il faudra qu’elle soit aussi à la place qui est la sienne dans le combat à venir pour la liberté et la démocratie.