France : un modèle de relations stratégique à l’Est d’Aden ?
Article paru sur La Tribune le 17 octobre
La France est simultanément exposée à, une guerre sur le continent européen, et des évolutions nombreuses en Afrique. Depuis quelques jours notre pays s’est engagé dans les difficiles négociations au Proche-Orient. Dans ce contexte Il est particulièrement important de discerner les lignes spécifiques de notre stratégie internationale. Peut-on identifier un « carré d’as » c’est-à-dire des constantes clés, dans notre modèle de partenariats avec l’Inde et les Émirats Arabes Unis ?
Les évènements en Afrique interrogent les capacités de vision stratégique de la France. Mais ces difficultés ne doivent pas masquer le développement de la présence française dans le monde. Il nous faut regarder ailleurs. La Zone Économique exclusive (ZEE) mondiale française se situe sur tous les océans et mers. La stratégie de nouveaux partenariats doit donc être inspirée par ce grand large, à l’est d’Aden…
La France a construit deux nouveaux partenariats stratégiques exceptionnels avec l’Inde et les Émirats Arabes Unis. Se dégage-t-il un modèle français de coopération stratégique à travers ces deux pays, éloignés, et de modèles culturels différents ?
Le partenariat stratégique indien
Il fête cette année son 25ème anniversaire. La présence du 1er ministre indien Narendra Modi, à Paris le 14 juillet 2023, fut donc hautement symbolique. Elle exprime aussi la coopération militaire franco-indienne.
L’acquisition de 26 Rafale reflète la continuité de notre collaboration dans le domaine aérien militaire, initiée avec le Jaguar, et le Mirage Ce partenariat militaire couvre également le domaine naval, avec la vente de 9 sous-marins.
Une collaboration spatiale s’est également mise en place, depuis de nombreuses années, entre le Centre Nationale d’Etudes Spatiales (CNES) et l’agence indienne (ISRO). Cette année voit le lancement d’un nouveau programme de satellite de détection des ressources en eau, et une constellation de 10/12 satellites de surveillance du trafic maritime mondial. Le CNES apporte aussi son soutien technique au programme national indien de vols habités. Le dialogue spatial est donc global.
La coopération stratégique est également exemplaire dans d’autres domaines.
De l’industrie à la culture
La stratégie militaire du « Made in India » a initié de nombreuses coopérations, à l’image du rapprochement dans la technologie des moteurs, entre « SAFRAN Helicopter Engines » et le groupe HAL. Un bureau dédié à ces coopérations a été créé à l’ambassade de Paris.
Dans le domaine Informatique, de nombreuses entreprises françaises ont investi en Inde. Les deux pays s’appuient sur une Feuille de route commune dans la cybersécurité et le numérique depuis 2019. La création du Centre Indo-Français de Promotion de la Recherche Avancée (CEFIPRA) illustre l’importance stratégique accordée au secteur scientifique indien, dans les énergies renouvelables, l’intelligence artificielle, et la santé.
Dans le domaine nucléaire, EDF formera des ingénieurs indiens dans la technologie EPR., et les deux pays veulent établir un partenariat sur les petits réacteurs modulaires (SMR).
Du côté éducatif et culturel, la France a réaffirmé son ambition d’accueillir 20.000 étudiants indiens d’ici 2025. Dans le secondaire et post bac, plus d’une vingtaine de partenariats entre établissements scolaires respectifs sont en vigueur.
Les 25 ans du partenariat stratégique franco-indien, ont été célébrées par le Festival Namasté France, à Paris. Les deux pays ont signé une lettre d’intention portant sur le projet du musée national de l’Inde, la France partageant son expérience des grands projets culturels.
Quatre piliers stratégiques se dégagent, militaire, spatial, industriel, et culturel
Le partenariat stratégique émirati
Mohamed ben Zayed, nouvellement élu, en 2022, à la tête des Émirats Arabes Unis, a choisi Paris pour son premier déplacement à l’étranger, montrant l’importance accordée au partenariat avec la France.
Son père admirait le Général de Gaulle. Cette relation, invisible, mais très forte a conduit, en 1995, à la signature d’un accord stratégique entre les deux pays, et la mise en place, en mai 2009, d’unités militaires françaises sur le site d’Al Dhafra, seule base ouverte par la France, en 50 ans, en dehors du territoire métropolitain.
Le premier contrat de fournitures militaires s’est matérialisé par l’acquisition de Mirage 5, puis l’acquisition de Mirage 2000 en 1998. L’achat de 80 Rafale, en 2021, se place dans ce long continuum.
Ces décisions ont été accompagnées par l’acquisition de 390 chars Leclerc dans le terrestre, et de 2 corvettes Gowind pour le naval.
Cette coopération militaire s’est étendue, en 2013, à l’espace avec la fourniture de deux satellites d’observation. L’élargissement à l’espace civil s’est concrétisé en 2015, avec la signature d’un accord entre l’agence spatiale émirienne et le Centre National d’Études Spatiales (CNES).
Partenariat énergétique et culturel
La France et les Émirats ont structuré une réelle coopération dans le domaine énergétique. EDF contribue à la centrale hydraulique d’Hatta d’une capacité de 250 Mégawatts.
La France participe au programme hydrogène émirien, via la l’accord d’alliance stratégique entre le groupe ENGIE, et le Ministère de l’énergie, en vue de d’un « hub hydrogène » d’une capacité de 2 GW, en 2030.
En 2021, EDF Renouvelables a remporté, avec un consortium, le contrat de la plus grande centrale solaire du monde, implantée à 35km d’Abu Dhabi.
L’ouverture culturelle des Émirats vers le monde s’est spectaculairement exprimée par l’ouverture du Louvre d’Abu Dhabi « musée universel » selon les mots du président français. Les Émirats assurent ce relais dans la péninsule Arabique et au-delà.
A nouveau un « carré d’as » apparaît, militaire, spatial, industriel, et culturel.
Cette structure stratégique commune entre la France et ses deux partenaires exemplaires, constitue une organisation diversifiée, donc solide, assurant une pérennité de coopération et de confiance
Quel pourrait être un échelon relationnel supplémentaire ? Il convient d’envisager une option souple, de niveau stratégique. Les rapports entre la France et ses deux partenaires exemplaires franchiraient un échelon supérieur avec des rencontres régulières, de type 2+2, entre ministres de la défense et ministres des Affaires étrangères, réunions symboliques et stratégiques.
Il est nécessaire en stratégie, de toujours esquisser le futur, surtout avec ses partenaires exemplaires.