Afrique francophone : Russie, Iran, et populisme, 3 stratégies de déstabilisation
Article paru sur La Tribune le 16 janvier 2024
Ces deux dernières années ont été marquées par des agissements coordonnés de la Russie dans la bande saharo-sahélienne, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais ces avancées politiques, militaires et économiques russes, au détriment de la France, ne sont pas isolées. Elles sont accompagnées par une démarche géographiquement identique de la République islamique d’Iran. Une troisième stratégie est également à l’œuvre, à travers l’apparition de candidats populistes aux élections dans d’autres pays francophones. La France et L’Union Européenne accepteront-elles cette attaque stratégique sur le flanc sud du continent européen ?
Ces deux dernières années, nous avons assisté au développement de l’activité du groupe paramilitaire russe Wagner dans trois pays de la bande saharo-sahélienne, au détriment de la présence française dans les domaines politiques et militaires.
Une stratégie russe globale et planifiée
Les activités de Wagner, visant à la prise du pouvoir civil par des éléments militaires, constituent la partie très visible de la stratégie russe. Cette dernière s’accompagne d’une action informationnelle au sens large, orientée directement vers la population. Elle repose sur la mise en place de leaders et de relais d’opinion, à l’exemple de Nathalie Yamb (surnommée la Dame de Sotchi) et Kémi Semba. Leur action repose sur l’utilisation intensive des réseaux sociaux, dans lesquels sont diffusées des informations spécialement formatées. Cette stratégie de communication s’appuie également sur une capacité organisationnelle et financière de mobilisation des foules, avec slogans et pancartes ciblant la présence française, dont on a vu la mise en œuvre dans les 3 pays du Sahel.
Ce dispositif apparaît donc global, et en conséquence particulièrement organisé. Cela implique l’élaboration d’un véritable plan, avec le temps nécessaire à la préparation de l’ensemble du processus. Ce que nous avons vu au cours de ces deux dernières années a donc été préparé très en amont. Le 1er sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a constitué le lancement visible de la stratégie du retour vers l’Afrique, élargie à l’ouest du continent. Depuis 2016, le Centre pour les Études Internationales et Stratégiques (CSIS), basé à Washington, avait identifié les activités de sociétés militaires privées (SMP) russes en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique et Madagascar. L’établissement du plan global remonte donc très probablement au début des années 2010.
Dans l’ensemble de ce plan vers le Sahel, la Russie n’agit pas seule, elle est en plus accompagnée de son allié, la République islamique d’Iran.
Une stratégie iranienne silencieuse
L’Iran a commencé, depuis plusieurs années également, à mettre en œuvre une stratégie politique, économique, et d’influence dans la région Sahélienne.
L’action diplomatique la plus récente vient de se dérouler en ce début d’année avec le Mali, où le Conseil National de Transition (CNT) vient d’annoncer l’ouverture dès cette année de deux facultés de l’Université d’Iran « une technique et professionnelle, l’autre, un centre d’innovation informatique ». Cette annonce a été faite après une rencontre entre le président du CNT et l’ambassadeur d’Iran, M. Salehani. Ce dernier avait été reçu il y a 3 mois par le ministre de la défense, le colonel Sadio Camara, un des hommes forts de l’équipe au pouvoir.
A cette même période, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, recevait à Téhéran, le chef de la diplomatie du Niger, Bakary Yaou Sangaré. Ce dernier a rencontré le président iranien Raïssi qui a décrit « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes comme étant le témoignage du refus du colonialisme par l’Afrique », selon les termes du communiqué de la présidence iranienne. Le positionnement politico-diplomatique anti-français, à l’image de la stratégie du Kremlin, est clair.
En ce qui concerne le Burkina Faso, la République islamique d’Iran a signé, à Ouagadougou, toujours à l’automne dernier, huit accords de coopération. Parmi ceux-ci figure un mémorandum d’entente dans les domaines de la coopération énergétique et minière, la coopération scientifique et technique dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, et le développement de l’enseignement supérieur.
Dans la défense et la sécurité, Ouagadougou et Téhéran ont exprimé « leur volonté de coopérer dans ces domaines et décident de poursuivre les concertations à travers des canaux plus appropriés », a expliqué, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso. La prochaine commission mixte de coopération entre les deux pays se tiendra à Téhéran en 2025. La coopération est globale et s’inscrit dans une volonté de continuité.
La diplomatie africaine de Téhéran apparaît donc comme un effet miroir de la politique africaine russe. La stratégie globale de déstabilisation de l’Afrique francophone s’inscrit également dans un troisième volet, celui de la mise en avant de candidat populiste à l’image d’Ousmane Sonko au Sénégal.
La perturbation populiste au Sénégal
Le populisme se définit selon Jean-Pierre Rioux, historien de la France contemporaine, comme « l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques, et des partis, qui s’en prétendent des porte-parole, alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures ».
Tel apparaît Ousmane Sonko, opposant au président sortant Macky Sall. Ancien inspecteur principal à l’Inspection générale des impôts et domaines, ancien député, et actuellement maire d’une ville de plus de 200.000 habitants, Ziguinchor.
Homme de rupture, radié de son poste dans l’administration en 2016, pour manquement au devoir de réserve, il s’est politiquement positionné comme « antisystème » alors qu’il en est issu. Dans la ligne de ce positionnement, il n’apparaît pas porteur d’un programme précis, mais se concentre sur une critique systématique du président et du gouvernement.
Le populiste, dans son discours, se caractérise par une stratégie d’attaque et de polémique, telle fut son option, lors de la précédente campagne électorale en 2019. Il n’a pas lésiné sur les moyens verbaux pour attaquer directement la personne de Macky Sall, le décrivant comme « un homme malhonnête, un partisan du népotisme et un dictateur qui ôte à son peuple la liberté d’expression » (Étude lexicologique de la campagne – BA Ibrahima
Enseignant-chercheur, Dakar). Le président était présenté comme favorisant les intérêts français au détriment des « enfants du pays ». Utilisation, hélas trop connue, de l’argument de la France, exploiteuse des richesses au détriment des habitants. Argument russe, argument iranien…
Les tentatives de déstabilisation de l’Afrique francophone apparaissent donc au confluent de plusieurs stratégies et de plusieurs États, depuis des années. Ne faut-il pas s’interroger sur l’aveuglement et la surdité des services français qui n’ont détecté aucune de ces vibrations, et qui n’ont pu, en conséquence, ni lancer les alertes préalables, ni mettre en place les contre-feux nécessaires.
Avant son remplacement par Stéphane Séjourné, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a sommé l’Iran d’arrêter ses ingérences au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas d’élargir le champ d’observation au continent africain ?