Les États-Unis de plus en plus présents au Moyen-Orient…. !
Publié sur l’Aurore
Le titre et le contenu de cet article se veulent une réponse à la phrase maintes fois lues et entendues : « Les États-Unis se retirent du Moyen-Orient ». Beaucoup étaient prêts à l’admettre car elle était assénée avec conviction. Cette affirmation était d’autant plus séduisante, qu’elle s’appuyait sur le mouvement stratégique de Washington : le pivot vers l’Asie, la Chine, et le Pacifique. Ce déclaratif était-il crédible ? N’est-ce pas le contraire qui se produit depuis des années ? Et maintenant, sous nos yeux ?
« Les États-Unis se retirent du Moyen-Orient ». Un grand nombre d’analystes et de médias ont susurré cette petite musique à leurs auditeurs ou leurs lecteurs. Mais aucun n’a pris le temps de chercher si une telle affirmation présentait quelques fondements. Le souvenir du départ de la plupart des soldats américains d’Irak suffisait à donner un semblant de vraisemblance.
Avons-nous vu un retrait diplomatique ou militaire ?
Y-a-t-il eu au cours des dix dernières années des fermetures de consulats américains au Moyen-Orient ? Avons-nous vu des ambassades américaines fermer ? Non, aucunement.
Le réseau consulaire est destiné, entre autres, à assurer une présence auprès des 200.000 citoyens américains présents dans toute la région.
S’il n’y a eu aucun retrait diplomatique ou consulaire, les États-Unis ont-ils alors procédé à des retraits militaires, définitifs, d’un ou de plusieurs pays, de cette région ?
Certes, après la 2ème guerre d’Irak, le Pentagone a procédé à un retrait massif de ses effectifs qui avaient atteint 160.000 hommes. Mais à ce jour, environ 2.500 militaires restent toujours présents dans le pays. Un « Haut comité de sécurité » mis en place entre les deux pays, est en train de redéfinir cette situation.
Mais loin d’un retrait, c’est plutôt d’une expansion militaire régional dont il faudrait parler.
L’expansion militaire des 20 dernières années
Après la 1ère guerre d’Irak, en 1993, les États-Unis n’ont pas décidé de laisser de troupes dans le pays. La mission de rendre au Koweït sa souveraineté avait été accomplie. Mais cette opération a été l’occasion de créer une présence militaire importante proche de Koweït City, et d’y mettre en place d’importants stocks de matériels. A cette même période a débuté, au Qatar, la mise en place de la base d’Al Udeid, point d’appui de la défense aérienne du commandement régional (Central Command) de l’armée américaine. Cette implantation venait compléter celle mise en place aux Émirats Arabes Unis à Al Dhafra au cours des années ’80.
Des déploiements plus légers sont en place en Arabie Saoudite, en Jordanie, à Oman, dans un but de formation et, ou, de surveillance radar
Cette forte présence aérienne dans le Golfe Persique vient s’ajouter à la présence maritime militaire de la Vème Flotte, dont le Quartier Général est localisé au Bahreïn depuis le milieu des années ’90.
A cette présence permanente, il convient d’ajouter les renforts déployés ponctuellement sur des bâtiments de l’US Navy, Porte-avions, Porte-Hélicoptères, et navires de projection, dans les moments de crise.
Même en Syrie, sans oublier Djibouti
Il convient de réserver une place particulière à la présence militaire américaine en Syrie. Elle est articulée autour de la présence de Forces Spéciales, depuis 2014, réparties sur 6 localisations, pour un effectif total d’environ 1000 hommes. Ces installations et effectifs présentent la particularité d’avoir été mis en place sans l’accord du gouvernement syrien, les relations diplomatiques entre les deux pays ayant été suspendues en 2012, au début de la guerre civile. Le Pentagone n’avait historiquement jamais bénéficié d’une présence militaire dans ce pays.
Il est nécessaire de mentionner, également, la présence américaine à Djibouti. Cette base est certes située sur le continent africain, mais elle fait directement face à cette région Moyen-orientale. Elle abrite une force militaire de plus de 3.000 hommes ainsi qu’un contingent de forces spéciales. Il faut également mentionner la présence d’une importante flotte de drones destinés à intervenir aussi bien au-dessus du continent africain que de la Péninsule Arabique, ou des zones maritimes.
Les États-Unis disposent donc d’un dispositif complet, terre, air, mer, répartis sur plusieurs dizaines de bases et sites, et qui se sont développés au fur et à mesure des conflits de ces dernières dizaines d’années.
Nulle tendance de rétrécissement. Au contraire, la présence américaine au Moyen-Orient, en ce XXIème siècle, est supérieure à ce qu’elle fut au XXème.
Les interventions en Mer Rouge contre les Houthis
Les premiers lancements de missiles et drones, fin octobre 2023, par les Houthis depuis leur territoire au Yémen, ont donné une nouvelle dimension, militaire et régionale, au conflit entre Israël et le Hamas. Le désordre qui en a résulté dans la circulation des navires marchands, vers le canal de Suez et l’Europe, a conduit les États-Unis à intervenir militairement, avec une contribution Britannique.
Cette opération s’est déroulée en deux étapes. La première a consisté à intercepter en vol tous les engins lancés par les Houthis contre les navires commerciaux, et militaires. La deuxième phase a consisté à frapper directement sur le sol Yéménite, les moyens de lancement, les stocks de missiles, et les stations radar permettant d’identifier la présence des navires, dans le Golfe d’Aden et en Mer Rouge.
Cette mise en œuvre, opérationnelle de navires et d’avions des forces armées américaines, concrétisait l’implication militaire des États-Unis au Moyen-Orient, ainsi que de leur détermination politique à faire respecter la libre circulation maritime dans le détroit de Bab-el-Mandeb, marquant l’entrée en Mer Rouge, le long de la péninsule arabique.
Cette volonté militaire et politique peut être considéré également, comme un signal, au second degré, à l’intention de l’Iran. De l’autre côté de cette Péninsule Arabique, nous trouvons en effet, le Golfe Persique, et les côtes iraniennes. Si dans le cadre d’une escalade, l’Iran venait à vouloir interrompre, ou entraver, la libre circulation des tankers au large de ses côtes, dans le Détroit d’Ormuz, les États-Unis décideraient d’intervenir…..
Nulle trace de retrait, mais au contraire, une présence politique et militaire affirmée.
La protection militaire d’Israël
Dès l’attaque du Hamas, le 7 octobre, le Pentagone a décidé d’envoyer en Méditerranée Orientale, un groupe aéronaval autour de son plus grand et récent porte-avions, le Gérald Ford. Début janvier 2024, ce groupe aéronaval repartait vers sa base, mais un autre volet de l’action militaire américaine allait s’ouvrir le 13 avril.
L’élimination le 1er avril à Damas, de deux généraux iraniens membres de la Force Qods des Gardiens de la Révolution, et de 5 autres officiers, dans le périmètre des locaux de l’Ambassade d’Iran, allait conduire Téhéran à mener, contre l’auteur probable, Israël, une action de représailles.
Cette réponse s’est déroulée dans la nuit du 13 avril par le lancement de plus de 300 drones, missiles de croisière, et missiles balistiques vers le territoire israélien.
Les résultats de cette attaque ont été plus que limités. Malgré le nombre d’engins envoyés, Israël n’a eu à déplorer que la mort d’une seule personne, et de faibles destructions sur la base aérienne de Nevatim au sud du pays. L’État-Major israélien revendiquera la destruction de 99% des engins iraniens. Ce résultat s’explique par l’architecture de défense mise en place par l’armée israélienne, conjointement avec les forces américaines, britanniques et françaises, avec la coopération de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite.
Le parapluie anti-missile d’alerte avancée, et le système d’interception multicouches s’est révélé formidablement efficace. Le réseau satellitaire américain a joué un rôle important, dans le suivi des missiles assaillants. Les avions de chasse de l’US Air Force auraient intercepté, grâce à leurs missiles, 25% environ des drones et missiles de croisière iraniens, avant qu’ils approchent le territoire israélien.
L’efficacité globale du système de défense a reposé sur la parfaite jonction des systèmes de détection et de suivi, à travers les réseaux satellitaires, aériens, navals et terrestres, où les réseaux de l’armée américaine ont été prépondérants.
La coopération anti-missile entre Israël et les États-Unis, depuis plusieurs décennies, a préparé ce parapluie, et a pleinement porté ses fruits.
A nouveau, aucun signe de retrait des États-Unis, au contraire un approfondissement des liens sécuritaires avec Israël.
Les liens et la coordination diplomatique américano-israélienne se sont également renforcés, vis-à-vis d’autres pays de la région.
Les accords d’Abraham
Les Etats-Unis ont amplifié leur activité et leurs résultats diplomatiques avec la stratégie des accords d’Abraham.
L’objectif était d’élargir, dans le cadre d’une stratégie des petits pas, la reconnaissance diplomatique de l’État Hébreux par d’autres États Arabes.
Les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn ont été les deux premiers à franchir ce pas. Il convient de mentionner le Maroc, ne relevant pas directement de zone géographique concernée, mais musulman.
Les discussions (complexes) étaient en cours avec l’Arabie Saoudite quand est survenue l’attaque du 7 octobre. Les progrès significatifs de ce processus de normalisation ont conduit Téhéran à tout faire, conformément à ses objectifs, pour les interrompre, et à lancer l’affrontement entre le Hamas et Israël. Les plus hauts dirigeants iraniens n’ont pas caché leur implication. L’élimination, en réponse, des généraux iraniens à Damas, constitue la réponse israélienne à cette totale implication iranienne.
Les sanglants combats à Gaza vont éloigner pendant un certain temps les perspectives de négociation entre Israël et l’Arabie Saoudite. Mais si des progrès même faibles pouvaient être accomplis (avec toujours une forte médiation américaine) vers une solution à deux États entre Palestiniens et Israéliens, alors un processus de négociation entre l’Arabie Saoudite et Israël pourrait être ravivé.
L’implication diplomatique américaine est donc loin d’être terminée au Moyen-Orient. Il y a toutefois un domaine où les États-Unis sont moins présents dans la région, et il est économique.
Le seul retrait, les achats d’hydrocarbures
Dans cette région du monde, il est absolument nécessaire de regarder de près les affaires pétrolières. Or, depuis une dizaine d’années, une révolution pétrolière est intervenue de l’autre côté de l’Atlantique, l’exploitation du pétrole de schiste.
Les États-Unis, depuis 2008, ont commencé cette production nouvelle, très conséquente, puisqu’elle leur a permis 10 ans plus tard de devenir le 1er producteur mondial de pétrole, devant la Russie et l’Arabie Saoudite.
Cette production, autour de 13 millions de barils par jour, ne leur permet pas de couvrir leur consommation de 21 millions de barils. Toutefois, elle leur a permis de réduire d’environ 40% leurs importations pétrolières.
L’’Arabie Saoudite, leur plus grand fournisseur au Moyen-Orient, a ainsi vu passer ses exportations vers les États-Unis de 1,8 millions de barils par jour à moins de 400.000…
Cette évolution commerciale, pétrolière, constitue le point central de l’évolution des rapports entre les deux pays. Néanmoins, Washington reste le 1er fournisseur de matériels militaires du Royaume Saoudien, et de loin.
De ce panorama il ressort que les États-Unis n’ont nullement diminué leur présence au Moyen-Orient, au contraire, ils l’ont accrue. Le conflit actuel, et les évolutions nécessaires au retour de la paix, ouvrent un chapitre diplomatique à plusieurs volets. La diplomatie américaine y est totalement engagée, et elle poursuivra sur cette trajectoire. Les options de la politique extérieure iranienne, et la situation intérieure du pays, posent un problème à la région et aux démocraties occidentales. Cette situation, ne connaîtra pas d’évolution sérieuse sans l’intervention du peuple iranien, et l’appui américain.
Les États-Unis n’ont pas fini d’être présents au Moyen-Orient…