Une géopolitique de l’IA pour la France ?

géopolitique et ia

Article paru sur La Tribune le 19 septembre 2024.

La France, pionnière de l’innovation. C’est l’un des objectifs du plan France 2030. Dans le cadre de cet objectif, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (IA), en 2018. Près de 2,5 milliards d’euros du plan France 2030 y sont dédiés. Immense défi, pour la France, ses capacités de recherche, son industrie, ses capacités stratégiques futures. Allons-nous relever ce défi seul ? Aurons-nous seuls les capacités, humaines, universitaires, financières ? Devons-nous construire méthodiquement des alliances avec des pays partenaires ?

Dans la continuité du plan lancé 5 ans plus tôt, le Comité de l’intelligence artificielle générative a été lancé le 19 septembre 2023. Ce Comité réunit des acteurs de différents secteurs (culturel, économique, technologique, de recherche), pour contribuer à éclairer les décisions du Gouvernement et faire de la France un pays à la pointe de la révolution de l’intelligence artificielle.

Immense défi pour créer et mettre en place les outils, et les applications, de l’énorme révolution que l’IA va introduire dans tous les secteurs de l’industrie, des services, et dans nos comportements professionnels et personnels.

La révolution du XXIème siècle

Révolution globale, car l’IA, à l’image des 4 bras de Shiva, se développe selon 4 orientations différentes : l’IA embarquée, c’est-à-dire présente au cœur des appareils ou des composants, l’IA générative, porteuse des modèles géants de langage, l’IA de confiance, fiable, répondant à des normes de transparence, notamment de confidentialité, et l’IA frugale, peu gourmande en énergie, au service de la transition écologique et énergétique des territoires.

Un tel niveau d’innovation, radiante, requiert en premier lieu de très conséquents investissements de recherche. Ces derniers recouvrent à la fois le développement, en réseau, d’instituts interdisciplinaires, et le financement de programmes doctoraux. Ces structures visent à mettre en place des pôles d’excellence de visibilité internationale, avec comme objectif, la présence d’au moins 3 établissements français dans le Top 50 mondial des universités dans le champ de l’IA, et de doublement du nombre de spécialistes de haut niveau, ingénieurs et docteurs.

Ce dispositif d’ensemble requiert des investissements dans des capacités de calcul à l’image du super calculateur Jean Zay, doté d’une capacité de calcul de 36,8 pétaflops, implanté dans le complexe scientifique de Saclay.
Près de 90 laboratoires d’IA avaient été mis en place dans notre pays, à la fin de l’an dernier. Près de 600 startups ont été créées, accueillant un effectif de 15.000 personnes.

Course d’investissements, course d’États

A la fin de l’an dernier une capacité d’investissement de 300 millions d’euros a été réuni par 3 entrepreneurs prestigieux, Xavier Niel (Illiad/Free) Rodolphe Saadé (CMA/CGM) et l’américain Eric Schmidt (ancien président de Google). Ils se sont réunis pour créer le laboratoire de recherche Kiutay, organisation à but non lucratif. Il a pour principal objectif de s’attaquer aux principaux défis de l’IA en développant de grands modèles multimodaux (son, texte, image) et des algorithmes pour améliorer leur efficacité. D’autres investisseurs dans ce projet seront nécessaires et les bienvenus. La course aux investissements est mondiale.

L’IA est désormais perçue comme un enjeu de souveraineté et de puissance, conduisant à une importante implication des États. Sa non-maitrise peut ouvrir la voie à un déclassement économique. À l’heure actuelle, une dizaine d’États concentrent les investissements dans l’Intelligence Artificielle. Sans surprise, les États-Unis et la Chine dominent l’ensemble. La France fait partie de ce club très fermé. Certes nous avons des entreprises présentes dans le peloton de tête mondial, Mistral AI, Hugging Face, mais nous ne pourrons pas faire cavalier seul dans cette lutte. Les entreprises françaises ont levé 3,2 milliards d’euros de fonds, en 2022, mais dans cette bataille mondiale, il nous faut chercher des alliés.

Un potentiel allié européen, la Suède

Signé à Göteborg le 17 novembre 2017 et actualisé le 7 juin 2019, le partenariat stratégique franco-suédois pour l’innovation et les solutions vertes incarne cette volonté commune de réussir ensemble la transformation environnementale et numérique de nos sociétés, dans l’intérêt de tous.

En janvier de cette année, La France et la Suède ont renouvelé ce partenariat stratégique afin de promouvoir une Europe plus compétitive dans le numérique, dotée d’infrastructures et de technologies avancées. Les deux pays faciliteront la coopération dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la connectivité à haut débit, du déploiement des technologies 5G et 6G, des jumeaux virtuels, de la cybersécurité (en particulier appliquée aux télécommunications critiques) et des compétences numériques avancées.
Les deux pays ont décidé d’encourager et de soutenir les partenariats industriels et scientifiques dans ce domaine, ainsi que la coopération en matière de normalisation.
La France et la Suède ont décidé au début de l’année 2024 de franchir une nouvelle étape afin de contribuer, par un partenariat bilatéral renouvelé, à l’accomplissement des objectifs de l’Union européenne. Face à l’évolution rapide de la technologie dans tous les domaines, en particulier dans le numérique, la France et la Suède accéléreront leurs investissements pour rester en tête de la course mondiale et conserver la maîtrise des technologies décisives pour leur avenir.
Notre pays peut également mettre en œuvre d’autres partenariat IA, en dehors de l’Union Européenne.

Les Émirats Arabes Unis

Après leurs succès dans la mise en œuvre de leur plan spatial (satellites nationaux, astronautes émiriens, sonde en orbite autour de…. Mars) les Émirats ont aussi pris le virage du numérique au service des citoyens dans le cadre d’une stratégie globale d’État.
Elle s’est concrétisée en octobre 2017 par le projet « Vision des EAU sur l’intelligence artificielle ». Ses objectifs mettent en lumière la volonté des dirigeants de donner à leur pays toutes les chances de figurer dans le peloton de tête mondial des Etats développés, dans les prochaines décennies.
Quelques jours après cette première étape, était décidée la création d’un ministère de l’Intelligence artificielle. Autre première mondiale ! C’est un jeune émirien de 27 ans, Omar Bin Sultan Al Olama, qui fut nommé à sa tête. La volonté est claire.

Les conclusions d’un rapport de PWC Middle East indiquent que 14% du PNB 2030 des Emirats devraient provenir de toutes les composantes de l’activité liée à l’intelligence artificielle (IA), ce qui représenterait 96 milliards de dollars. L’Etat émirien estime à 3 milliards de dollars les économies de son propre fonctionnement, grâce aux nouvelles technologies de l’IA.

La France et la Fédération Émirienne ont mis en place depuis une vingtaine d’années un partenariat stratégique, dans le domaine militaire/sécuritaire, énergétique et culturel.
Cette proximité entre Paris et Abu Dhabi s’est complétée par la signature, en mai 2024, d’un accord de partenariat stratégique sur l’IA à large spectre : infrastructures, investissements, formation.
La France met donc en place un axe géopolitique dans sa stratégie de développement de l’IA.
Cette internationalisation stratégique a été mise en avant au plus haut sommet de l’État à travers les récentes déclarations du président, en visio-conférence, lors du salon de Séoul sur l’Intelligence Artificielle : « Nous avons accepté la responsabilité de prolonger la dynamique initiée par le Royaume-Uni et la Corée, en accueillant en France, les 10 et 11 février 2025, un sommet pour l’action sur l’IA »
L’option du « grand large » stratégique et géopolitique est donc réellement mise en œuvre dans la stratégie française de l’IA, si essentielle pour l’avenir de notre pays.

Gérard Vespierre, diplômé de l’ISC Paris, Maîtrise de gestio, DEA de Finances Dauphine PSL, auteur du site : www.le-monde-decrypte.com Chroniqueur IDFM Radio