Russie Ukraine, la guerre des missiles

missile

L’arrivée de soldats nord-coréens en Russie confère au conflit un nouveau relief. Les États-Unis avaient indiqué, qu’ils apporteraient une réponse à cette initiative. Ils l’ont fait en donnant à Kiev le feu vert du ciblage du territoire russe par des missiles tactiques ATAC- MS de fabrication américaine. La Russie vient de répondre en lançant un missile balistique sur la ville ukrainienne de Dnipro. Ce missile porteur d’explosifs conventionnels est cependant à capacité nucléaire. Le pouvoir russe est habile dans le maniement de la peur. Où cela peut-il conduire ?

Tout d’abord, il convient d’apporter rectificatif et précision sur ces matériels. On qualifie les ATAC-M-S comme «à longue portée » ce qui constitue un abus de langage. Ce ne sont nullement des missiles capables de franchir 3.000 ou 5.000 ou 10.000 KM, distances franchissables par des missiles STRATÉGIQUES à longue portée….!

Les véritables caractéristiques des ATAC-MS

Les ATAC-M-S sont des missiles TACTIQUES, dont l’emploi concerne la zone du champ de bataille, et des territoires proches du champ de bataille. Leur portée se situe entre 150 et 300km, selon leur type. Il s’agit donc d’une « longue portée » TACTIQUE, concernant le champ de bataille ou des zones proches, comme on parlait au siècle dernier…. d’artillerie à longue portée…. Absolument impossible avec de tels missiles de frapper, par exemple Moscou, depuis le territoire ukrainien. La capitale russe est à plus de 500KM de la frontière.

Ces missiles ont été expédiés en Ukraine depuis le début de l’année, mais leur usage avait été autorisé que sur des cibles russes en territoire ukrainien. Leur emploi contre des cibles militaires, en Russie, mais proches de la frontière, est une réponse à l’arrivée des soldats nord-coréens en Russie, et dans la zone des combats. Ce n’est donc pas à proprement parler une escalade car premièrement, ces missiles n’ont pas été expédiés en Ukraine, en réponse directe à l’arrivée des soldats nord-coréens, et deuxièmement, ils ont déjà été utilisés sur le champ de bataille.

Mais, effectivement, c’est la 1ère fois qu’ils vont être utilisés contre des cibles en Russie, tout en soulignant que ces tirs sont réalisés par l’armée ukrainienne qui cible le territoire russe depuis déjà 2ans, et beaucoup plus profondément, plus de 1.000KM, donc de ce point de vue aussi, pas d’escalade.

La double réponse militaire russe

La Russie a décidé d’apporter une réponse symbolique forte. En lançant un missile nouveau, « Orechnik » expérimental de catégorie IRBM (Intermediate Range Balistic Missile – Missile Balistique de Portée Intermédiaire) issu d’un engin de catégorie supérieure, dite ICBM (Inter Continental Balistique Missile – Missile Balistique inter Continental) connu sous le nom de code RS-26 Rubezh. Ces dernières informations ont été communiquées le 21novembre par le Pentagone.

Ces missiles IRBM offrent des capacités de portée dans la catégorie 1.500 – 3000km, alors que la catégorie ICBM présente des portées de l’ordre 5.000-10.000km (voire plus). Le choix d’une version « dégradée » en termes de portée indique une volonté de « retenue » tout en étant proche d’un engin supérieur. En outre, le fait que de telles fusées soient conçues pour emporter des charges nucléaires crée un contenu émotionnel à leur emploi.

Mais il est impératif de considérer qu’une telle opération est autant destinée à marquer une volonté militaire que de marquer les opinions publiques occidentales.

Une composante non négligeable de la stratégie russe consiste à fatiguer l’ennemi sur le terrain, par la durée des combats, et de fatiguer les opinions publiques occidentales. Tous les éléments pouvant faire peur à l’opinion sont donc savamment calibrés. L’emploi d’un missile à capacité nucléaire, mais doté d’une ogive classique, rentre totalement dans cette stratégie.

L’évocation de la doctrine nucléaire russe

La nouvelle doctrine nucléaire russe, évoquée par le président russe mentionne la possibilité pour la Russie de répondre par une frappe nucléaire à une attaque conventionnelle.

Le pouvoir russe dans son ensemble est relativement prompt à évoquer des menaces, voire des frappes nucléaires. Combien de fois a-t-on entendu le mot nucléaire depuis ….. 1000 jours ? Nous avons atteint la 8ème fois, entre Poutine, Lavrov ministre des affaires étrangères, et Medvedev le secrétaire du conseil de sécurité russe. Que s’est-il passé ? Rien ! Depuis que la Russie /URSS a fait exploser sa première bombe nucléaire en 1949, une étude récente évalue, depuis cette date, à 104 références faites par le pouvoir russe, à des menaces ou des frappes nucléaires….. Triste tradition, mais cela fait partie de l’arsenal non pas militaire, MAIS DE L’ARSENAL DE COMMUNICATION du pouvoir russe à l’usage des pays occidentaux.

Il est intéressant de mentionner que dans tous ces cas, les déclarations viennent des hommes POLITIQUES, et non pas des MILITAIRES RUSSES. Si ces derniers exprimaient les mêmes menaces, nous serions dans une tout autre situation, plus sérieuse… !

Enfin, il faut préciser que la nouvelle doctrine nucléaire mentionnée par Vladimir Poutine, fait référence à une possible réponse nucléaire en cas D’ATTAQUE…. MASSIVE. La doctrine russe, et les dirigeants savent prendre des précautions… !

Le distinguo militaire, entre les deux approches

Cet emploi d’un missile à capacité nucléaire, pour impressionnant qu’il soit, sur le plan psychologique, comporte des limites, dans le cadre de ce conflit, intéressantes à noter.

Même si la guerre n’a pas de prix, les missiles stratégiques eux, en ont un. Pour donner un ordre d’idée un missile stratégique se situe raisonnablement, en termes de prix, dans une fourchette 50-100 millions d’Euros. Pour un tel montant, dans le cas où il n’emporte qu’une ogive, il ne vise qu’un objectif, en l’occurrence la ville ukrainienne de Dnipro.

Si l’on considère maintenant le coût d’un ATAC-MS, il se situe dans la fourchette 1-5 millions d’Euros, dépendant de l’intégration ou non des coûts de développement. On constate immédiatement que pour le coût d’un missile balistique stratégique, on peut lancer quelques dizaines de missiles tactiques, donc viser… quelques dizaines d’objectifs.

C’est en particulier pour cette raison que les militaires auront tendance à considérer que l’utilisation d’un tel missile par la Russie, est d’un très faible intérêt militaire, s’il est utilisé avec une ogive non-nucléaire….

On retrouve donc ici l’importance de l’impact psychologique accordé par le Kremlin à un tel emploi.

Un obstacle sur le chemin de Donald Trump ?

La réponse apportée par le président Biden est de nature militaire. Elle a donc été MINUTIEUSEMENT PREPARÉE depuis des semaines par tous les échelons militaires du Pentagone. Dans la réalité du fonctionnement du pouvoir d’un Etat démocratique, le ministère de la Défense, prépare les plans et les décisions. DES PROPOSITIONS sont ensuite soumises en l’occurrence à la Maison Blanche, le tout étant coordonné avec le ministère des affaires étrangères…. Le président formalise et constitue la décision FINALE. Il est le dernier échelon d’approbation, donc en aucun cas l’initiateur. Il faut que cela soit clair.

Concernant l’implication de Donald Trump, il faut faire référence, à nouveau, à la puissante et omniprésente PLANIFICATION américaine. A ce titre, le président élu, a été « mis dans la boucle » donc informé d’une telle décision. Mais peut-être pas, directement par le président Biden, mais plus vraisemblablement par le canal de leurs équipes respectives. Il n’a donc pas fait parti du processus de décision, puisqu’il assume, pour le moment, aucune responsabilité de pouvoir.

Même si Donald Trump s’est dit capable d’arrêter ce conflit en 24 heures, il faut à la fois intégrer la capacité du personnage à l’exagération, et au fait qu’une telle déclaration se place dans le cadre d’une campagne électorale. La priorité absolue est donc de tout faire, et de tout dire…. Pour être élu. Une fois l’objectif atteint, il sera toujours temps d’adopter un discours plus approprié aux réalités.

Enfin et surtout, il faut mentionner l’intégralité de la formule du camp Républicain : « Peace by Foce » la paix par la force. Elle vient d’être rappelée à l’occasion de la nomination du nouvel ambassadeur américain auprès de l’OTAN… La décision américaine qui vient d’être annoncée se situe dans cette stratégie. Il faut impérativement se méfier de personnaliser les politiques. Dans un État d’une telle ampleur et complexité, les grandes options stratégiques relèvent de l’administration profonde, ou plutôt, permanente….. Un homme même au sommet, ne peut changer à lui seul la doctrine de tout un appareil militaire.

Le futur proche

Nous venons d’en avoir un premier exemple d’usage des ATAC-MS avec des frappes sur des sites de stockage de munition, en territoire russe, dans la région de Briansk. Il est important de noter que les installations visées sont peu éloignées de la poche occupée par l’armée ukrainienne en territoire russe, dans la région de Koursk. Donc, ces frappes visent les centres le ravitaillement, ou logistiques, des forces russes en train de combattre cette pénétration ukrainienne en Russie. Nous avons donc là les deux références d’emploi, pour le moment, premièrement, sites de stockage et d’approvisionnement des forces russes, deuxièmement aider les forces ukrainiennes présentes en Russie. Cela laisse troisièmement, entrevoir de possibles interventions directes contre les forces russes et nord-coréennes qui vont essayer de reprendre ce territoire.

Mais il ne faut pas oublier « l’allié stratégique chinois ». Pékin ne cesse de clamer la nécessité de rester calme, et de se diriger à nouveau vers la paix, absolument nécessaire à son commerce mondial. Le Kremlin ne pourra pas infiniment ignorer le souhait profond de son allié.