Ukraine : contraintes de la guerre, exigences de la paix

Ukraine

Article paru dans La Tribune le 1er avril 2025

Après plus de 3 années de guerre, les perspectives de cessez-le feu apparaissent en Ukraine. Cette trop longue période a exigé du gouvernement et de la population ukrainienne des sacrifices auxquels nul ne songeait il y a quatre ans. L’attachement à des valeurs profondes a constitué un facteur essentiel de la résilience de la population, mais l’état de guerre a facilité des écarts avec l’État de droit. L’État ukrainien va devoir réapprendre la paix et les bonnes pratiques financières car les contributions internationales auront un très grand rôle à jouer dans la reconstruction du pays. Par Gérard Vespierre, analyste géopolitique.

La très difficile situation actuelle de l’Ukraine se situe sur un long chemin parsemé de nombreux combats. Dans l’Histoire contemporaine, souvenons-nous que l’Ukraine s’est déjà levée en 1919 pour obtenir son indépendance, et sortir de l’Empire russe. Il n’est pas inutile de le rappeler. L’éclatement de l’URSS et l’obtention de l’indépendance en 1991 n’ont pas marqué la fin du chemin.

La chute de l’URSS allait marquée dans chacune des anciennes Républiques, le début d’une chasse à l’appropriation des sociétés d’État ou à leur pillage, de la part des agences et services de sécurité, associés à des réseaux. L’Ukraine n’a naturellement pas échappé à cette négative dynamique.

Après la « révolution de Maïdan » en 2014, l’administration ukrainienne a réellement agi conter cette prédation de l’économie, en mettant en place des règles de transparence, une numérisation accélérée, et de nouveaux services de contrôle.

La voie vers une économie assainie

La pression du gouvernement sur la nécessité et les exigences d’une transparence comptable et fiscale, concernant en particulier la déclaration des avoirs a rendu plus difficile, pour les personnalités politiques et leurs familles, de dissimuler des biens irrégulièrement acquis.

L’accélération de la numérisation des procédures dans de large secteurs de l’administration a diminué les opportunités, pour les fonctionnaires, de demander des pots-de-vin.

Dans les années qui ont suivi 2014, plusieurs secteurs ont été l’objet d’attentions particulières. Le domaine bancaire a subi des opérations de « nettoyage », et le secteur de l’énergie a été significativement libéralisé. Les services d’approvisionnement de l’administration ont vu leur informatisation accélérée avec la mise en place de la plate-forme d’appels d’offre Prozorro.

De nouvelles institutions anti-corruption ont également été mises en place. L’historique du pays fait de cette lutte un combat de longue haleine. Néanmoins des réels progrès ont été accomplis, même pendant ces années de guerre puisqu’en 2023, l’ancien président de la Cour Suprême, Vsevolod Knyazev, a été arrêté au motif de corruption. La guerre et les besoins militaires massifs qui en résultent ont également conduit à la réforme des procédures des approvisionnements militaires, ce qui a conduit à l’arrestation de plusieurs officiers supérieurs.

Le choc de la guerre

Mais l’invasion russe et les 3 années de guerre de haute intensité qui en ont résulté mirent à mal ces dispositions et les organismes de contrôle. Dans des conditions de guerre le Parlement et les médias, ont moins de visibilité et de force pour demander des comptes aux agences de sécurité et aux organismes de contrôle.

Le choc économique a été très profond. On estime que l’Ukraine a perdu en 2022, année de l’invasion, environ un tiers de son PIB. L’année suivante LE PAYS n’a retrouvé que 3% de croissance, selon le FMI. Ce choc a été en partie absorbée par l’infusion de l’aide internationale, mais au prix une envolée de la dette. Le ratio de la dette public dépasse maintenant 100% du PIB, niveau extrêmement élevé pour un pays en développement. Concernant les destructions et dommages issus de la guerre Le Fonds Monétaire International estime le montant à 500 milliards de dollars.

Ce chaos économique, et le centralisme qu’exige la gestion d’un pays en temps de guerre, ont donc créé les conditions d’une reprise de la prédation financière au détriment des entreprises.

Des exemples éloquents

La société MacPaw, développeur pour Apple, avait décidé d’investir entre 2016 et 2021, 28 millions de dollars, dans un centre de détente pour ses employés. En 2023, le siège de l’entreprise et le domicile du dirigeant ont été perquisitionnés par la police nationale, au motif que le terrain avait été acquis illégalement. En réalité des gradés de la police voulait pouvoir reprendre ce terrain, près de Kiev.

Des opérations de cette nature avec des objectifs immobiliers, sont nombreuses. Le plus grand groupe de laboratoires d’analyses médicales (340 sites) du pays en a été victime. Il a assisté à la saisie de son siège, par une intervention du Bureau National d’Investigation (SBI).

Le dossier impliquant le groupe métallurgique Ferrexpo, est d’une toute autre ampleur. Avant le début du conflit son chiffre d’affaires dépassait les 2 milliards de dollars. Kostiantyn Zhevago, son principal actionnaire ukrainien, se trouve en conflit avec les autorités locales, à travers la faillite de sa Banque Finance et Crédit. Au nom de ce litige le SBI a ordonné le transfert des droits de vote détenus par ce dirigeant dans la société Ferrexpo Poltava Mining à une agence de gestion des intérêts de l’État (AMRA). Cette décision de transfert veut ignorer que le litige sur la banque ne donne aucun droit sur un actif sans lien avec le passif de l’établissement.

De plus, la maison mère, Ferrexpo, société de droit suisse, est cotée à la Bourse de Londres. Les deux conventions encadrant les relations financières de l’Ukraine, avec les deux pays impliqués, Suisse et Grande-Bretagne n’autorisent pas une telle opération.

Récemment les autorités fiscales ukrainiennes ont fait savoir qu’elles suspendaient le remboursement de la TVA due à Ferrexpo. Or une telle décision, réduit drastiquement la trésorerie de l’entreprise, conduit à des licenciements, réduit l’activité et les taxes perçues par la région. S’y ajoute les impacts sur la sous-traitance. Un total non-sens juridique et économique.

Le droit est profondément absent dans l’ensemble de ces dossiers.

Regard vers le futur

Une prise de contrôle sauvages, ou tout autre type d’action de la part d’un État contre des entreprises privées, ne constitue en aucun cas un apport favorable à l’économie d’un pays, et à son développement.

De tels comportements repoussent les investisseurs internationaux, et les potentiels partenaires industriels étrangers. L’insécurité qui en résulte à l’égard des personnes, et des capitaux, ne fait que ralentir le développement économique d’un pays.

L’Ukraine a déployé de réels efforts depuis 2014. La fin des activités militaires se profilant, le temps de la reconstruction et du développement arrivant, il est impérieux pour l’État ukrainien de revenir aux fondamentaux de l’État de droit. L’économie ukrainienne doit pouvoir exprimer le plus vite possible le potentiel de sa richesse économique dans l’industrie, l’agriculture et les services technologiques. Succès et transparence faciliteront et accélèreront les contributions internationales. Le collectif ukrainien en sera le premier bénéficiaire.

Les dirigeants à Kiev récolteront alors les fruits politiques d’un retour à un plein État de droit. La paix est porteuse de ses propres exigences.