Yemen : réalités politiques et défaite de l’arc chiite iranien
Article paru sur Blogazoi le 4 novembre 2018
La situation au Yémen se trouve à un tournant. Pourquoi ? Par les déclarations, conjointes, du secrétaire d’état à la défense et du département d’état américain? oui, mais pas seulement.
Comme bien souvent dans les affaires géopolitiques du monde, il y a l’avant-scène, ce que l’on voit, et entend, donc si facile à comprendre, et puis, il y a ce que l’on voit beaucoup moins, mais qu’il est tout aussi important, voire plus important, de savoir, pour pouvoir décrypter ce qui se déroule, en réalité.
De façon très coordonnée, ce qui n’est pas si fréquent, ces deux hauts représentants de l’administration américaine ont annoncé qu’il n’était plus temps de discourir au sujet du Yémen, mais d’agir, et que des négociations devaient absolument débuter dans les prochaines semaines. Ils ont indiqué le mois de novembre, même le lieu, Stockholm, et le nécessaire cadre, un cessez-le feu, et un règlement politique durable.
Comment en est-on arrivé là, alors qu’il est de bon ton de considérer ce conflit comme étant causé par la seule Arabie Saoudite, et qu’il suffit en conséquence de leur demander fermement d’arrêter leurs bombardements pour aboutir à la paix ? Comme toujours, les assertions les plus simples, pour ne pas dire les plus simplistes, ne peuvent refléter ou permettre de comprendre une situation politique moyen-orientale, par essence, compliquée.
Un autre regard sur le passé
Il ne semble pas inutile de rappeler d’une part, que le mouvement Houthi, bien qu’occupant la capitale Sanaa n’est nullement reconnu comme pouvoir légal par les instances internationales. D’autre part, c’est par les armes que le président en titre, Abd Rabo Mansour Hadi, a été forcé à quitter son pays et à trouver refuge en …. Arabie Saoudite. Il faut également préciser que le mouvement Houthi est numériquement minoritaire. La spécificité religieuse sur laquelle il s’appuie, à savoir le zaïdisme, branche du chiisme, ne représente que 35 à 40% de la population yéménite. Par ailleurs tous les membres de la communauté zaïdite, ne sont pas derrière le leader abdel Malek al-Houthi, comme nous le verrons.
Enfin, l’intervention d’une coalition menée par l’Arabie saoudite et les états du Conseil du Golfe, n’a pas pour objectif de mener une guerre, mais de ramener dans la capitale Sanaa, le président en titre, réfugié à…Riyad !
Une première réunion entre le mouvement Houthi, le gouvernement officiel, et le représentant de l’ONU, Martin Griffiths avait été organisées à Genève, au début du mois de septembre, sans que les représentants Houthi y apparaissent.
Mais depuis de nombreux évènements se sont déroulés.
Les réalités du terrain militaire et politique
La pression militaire de la coalition sur le port et la ville de Hodeïda, lancée en juillet a continué à s’accentuer, mobilisant principalement des soldats émiratis, mais incluant également, la participation de soldats soudanais. Le port de Hodeïda est le poumon alimentant la capitale Sanaa. La pression sur le « poumon économique » est destinée à faire réfléchir le « cœur politique » de la capitale, tenue par le mouvement Houthi.
En parallèle de cette situation militaire, de plus en plus délicate pour les Houthis, les rivalités internes, se sont accentuées. L’oncle du leader, le cheik abdel azem al-Houthi, déjà en opposition avec son neveu depuis 4 ans, s’est exprimé à son égard, il y a quelques semaines, en termes des plus radicaux, lui reprochant: « de ne pas servir la cause du zaïdisme, mais d’être soumis au chiisme de Téhéran, et de faire le jeu de l’Iran au détriment du peuple yéménite, en se conduisant comme des voleurs et des bandits ».
A la différence d’âge et de statut s’ajoutent, la divergence religieuse, et l’opposition politique. La conséquence de cette division radicale du mouvement Houthi s’est rapidement traduite par des affrontements armés internes, entre les partisans de ces deux leaders. Le résultat s’est chiffré par des dizaines de morts dans la ville de Saada, au nord du Yémen, au mois d’octobre, et dans d’autres localités, y compris la capitale. Le mouvement Houthi se trouve ainsi entraîné dans une spirale de division, donc d’affaiblissement.
En parallèle, un autre évènement, plus politique a eu lieu, il y a quelques jours, la libération des fils de l’ex-président Saleh, prédécesseur du président actuel, Abd Rabo Mansour Hadi.
Pour avoir une meilleure vision de cette libération, son importance, et sa signification politique, il faut se reporter au 3 décembre 2017. Ce jour là l’ex-président Saleh, allié au mouvement Houthi, déclare dans une conférence de presse, que cette guerre a suffisamment duré, qu’elle ne permet d’envisager aucune issue, et qu’en conséquence, il convient d’ouvrir des négociations avec l’Arabie Saoudite, et donc le président en titre. Mais, le lendemain, cette ouverte vers la paix lui coûte la vie. Il est assassiné par un commando Houthi…
Pour Téhéran, qui appuie les Houthis, il ne peut être question d’arrêter ce conflit sur le flanc sud de son adversaire saoudien.
Mais pour le mouvement Houthi le fait d’éliminer son seul allié politique, allait marquer en réalité le début de réelles difficultés, et nous en voyons les résultats presque un an plus tard…..
Les deux fils de l’ex-président ont été emprisonnés immédiatement après l’assassinat de leur père. Leur libération il y a quelques jours, est tout à la fois, un geste politique, de bonne volonté, un aveu de faiblesse, et un signe d’acquiescement au projet de négociation.
Et du côté du président en titre, que se passe-t-il ?
Abd rabbo Mansour Hadi, après avoir nommé, au mois de mars, un frère du président Saleh, son prédécesseur, et ex-rival, au poste de chef de l’armée de réserve, signe d’ouverture, vient de limoger son premier ministre, le 15 Octobre, sans le remplacer…. Autre signe d’ouverture, confirmé par l’accord donné hier sur l’ouverture de négociations à Stockholm.
Les conséquences de l’évolution interne
Derrière les déclarations américaines, nous voyons donc apparaître un grand nombre d’évènements, ces derniers mois. Il faut en effet intégrer l’affaiblissement du mouvement Houthi, militairement depuis le début de l’année, dans le sud du pays et autour du port de Hodeïda, et politiquement dans ses rivalités internes, exacerbées depuis quelques semaines. A cela s’ajoute les décisions d’ouverture du président Hadi.
Ce sont donc ces évolution des réalités yéménites, au cours de l’année 2018, résultats de nombreux efforts militaires et diplomatiques coordonnées, nationaux et internationaux, qui ont permis aux déclarations américaines, de voir le jour,….maintenant.
Cette évolution fondamentale du conflit marque pour l’Iran un revers dans sa stratégie d’expansion de « l’arc chiite ». Si en effet l’arrêt de la guerre au Yémen devait se concrétiser, son soutien au mouvement Houthi aura été un échec. L’aide apportée en armement, en formation, et les budgets engagés dans cette cause n’auront pas abouti à la mise en place sur le flanc sud de l’Arabie Saoudite d’un régime allié de Téhéran.
Une centaine de missiles ont été tiré par les Houthis depuis le territoire yéménite vers les villes saoudiennes. Substantielle enveloppe budgétaire pour Téhéran fournisseur de ces missiles de 10 mètres de long et 1.000 kilomètres de portée.
Le régime iranien osera-t-il présenter cette évolution comme une preuve de sa bonne volonté internationale… ? Peu vraisemblable, puisque les autorités iraniennes ont toujours nié intervenir dans ce conflit.
Il s’agira donc d’une diminution de son influence régionale, résultat recherché par de nombreux pays arabes et occidentaux.
L’automne 2018 s’avère être pour le régime iranien un passage difficile. En parallèle, il est en effet soumis à la pression des Etats-Unis visant à réduire ses exportations pétrolières, et donc à affaiblir son économie.
Automne difficile, à l’automne du pouvoir… ? quelques mois avant le 40ème anniversaire de la création de la république Islamique d’Iran….
Nous aurons très certainement l’occasion d’y revenir….