Arabie-Iran : Le grand choc..?
Article paru sur Blogazoi.fr le 13 février 2018
« Khamenei, nouvel Hitler du Moyen-Orient… » a récemment déclaré Mohammed Ben Salman, Prince héritier d’Arabie Saoudite. Jamais les échanges n’avaient été aussi rudes…
Y-a-t-il eu dans le lointain passé heurts et conflits… ? Est-ce d’avantage lié à des circonstances contemporaines… ? Pouvons-nous identifier des racines purement religieuses à ce conflit… ? Y-a-t-il des alliances dans la région et hors de la région ? Quelles sont les perspectives… ? Voilà quelques-uns des thèmes que nous allons aborder et tenter d’y apporter des réponses…
Une Histoire sans histoire…
A l’opposé de l’Angleterre et de la France, et de cette dernière avec l’Allemagne, rien dans l’histoire millénaire de la Perse et de la péninsule arabique n’avait créé des circonstances de rivalité séculaire. L’empire perse connut des heures de gloire sous Cyrus, et puis d’effacement avec Alexandre le Grand. L’invasion arabe de la Perse allait conduire à l’abandon du zoroastrisme au profit de la religion musulmane, mais c’est Damas et Bagdad, qui imposaient leur volonté, pas la péninsule arabique.
La configuration de ces des deux états dans leur stature géographique et politique actuelle ne remonte qu’à la fin de la première guerre mondiale, la chute du Califat de Constantinople, faisant surgir l’Arabie Saoudite, unifiée en 1932, et la Perse devenant officiellement l’Iran en 1935.
Depuis la seconde guerre mondiale, Arabie Saoudite et Iran ont été dans le camp des alliés des Etats-Unis. Ces deux pays ont conjointement participé à la création de l’OPEP et se développaient chacun de leur côté, dans un cadre de relations diplomatiques normales.
Quels ont donc été les éléments de rupture ?
La chute du Shah, l’arrivée de l’Iman Khomeini, et la création d’une République islamique ont constitué les premières circonstances d’éloignement. 1979 fut donc l’année charnière, surtout si l’on ajoute la prise d’assaut de la Mosquée de La Mecque par plusieurs centaines d’insurgés wahhabites, qui comme leurs « cousins chiites » voulaient renverser les « Princes impies ».
Cette année-là fut un véritable carrefour géopolitique, l’URRSS envahissant (le jour de Noël) l’Afghanistan. Un pays, non musulman, professant même l’athéisme, envahissait un état lui, musulman, ouvrant ainsi la porte au lancement du Djihad, et la boîte de Pandore d’affrontements à caractère religieux.
La mise en avant par l’Iran d’un arc chiite du Pakistan au Liban et son utilisation comme arme politique d’influence a constitué un élément de rivalité entre ces 2 pays, leaders l’un du sunnisme, l’autre du chiisme. Les différences religieuses sont-elles essentielles ?
Ce sont les « Pasdarans », les milices chiites afghanes, pakistanaises, le Hezbollah libanais, encadrés par les officiers iraniens, qui présents en Syrie, en Irak, au Yémen, créent et aliment le conflit. Le politique et non le religieux constitue la trame de cette rivalité.
L’absence de conflit religieux structurel
Les populations chiites et sunnites du monde continuent toujours ensemble leur pèlerinage à La Mecque, et cheminent dans la fraternité autour de la Kaaba, réceptacle de la pierre noire déposée par le prophète Mahomet…
Entendons-nous des prêches véhéments invitant les chiites à se lever contre les sunnites, ou vis-versa… à Téhéran, à La Mecque, au Caire … ? Non, nulle part.
Il n’y a pas de conflit d’ordre théologique, même s’il y a des différences radicales entre les choix des successeurs du Prophète.
Quand le 2 janvier 2016, les saoudiens ont décapité un cheikh chiite, Al Nimr, quels étaient les motifs de cette décision, et de cette exécution… ? Croyances religieuses « déviantes » ? Non, appel à la sédition et, refus de l’autorité et de l’obéissance au Roi…. Sédition, c’est-à-dire appel aux chiites concentrés dans la partie est de l’Arabie Saoudite à s’ériger en territoire indépendant du Royaume saoudien. Motif religieux… ? Non, raison éminemment politique, l’intégrité du Royaume. Reconnaissance de l’autorité du Roi, motif religieux ? Non, éminemment politique, relevant de la reconnaissance du pouvoir … !
Il n’y a pas de conflit religieux entre chiites et sunnites. Il y a instrumentalisation de la religion par le politique. Cette exécution a conduit à l’arrêt des relations diplomatiques entre les 2 pays.
Quel a été la raison profonde de la création de l’Etat Islamique en Irak ? Fondamentalement un déséquilibre politique entre sunnites et chiites à Bagdad, au sein du gouvernement, les chiites ne disposant que de responsabilités mineures, comme au sein des ministères. Les tribus sunnites du nord ont alors apporté leur soutien au mouvement et ont contribué à la prise de Mossoul. Al Baghdadi a pu alors annoncer la création du Califat de l’Irak et du Levant, le 30 Juin 2016 et diriger ses troupes vers la capitale.
La marginalisation des sunnites irakiens est si profondément la cause de la situation que, les Etats-Unis lorsque le pouvoir central de Bagdad leur demande d’intervenir pour arrêter la progression des soldats de Daech vers la capitale, subordonne l’intervention de la coalition internationale au changement de premier ministre. Depuis trop d’années il suit les désirs de Téhéran et de « l’arc chiite ». Magie de la diplomatie, les Etats-Unis commencent les bombardements le 1er Août, et Maliki cède sa place le… 3 Août à Abadi.
Quelques mois plus tard Abadi annonce rendre visite à … son frère…. d’Arabie Saoudite… Les liens politiques se retissent entre l’Irak à majorité chiite et le pays leader symbolique du sunnisme… après plus de 10 ans d’absence de relations à ce niveau. En Octobre 2017, Abadi et 10 ministres irakiens se rendent en visite à Riyad, dans le cadre de la commission de développement irako-saoudienne. Le rééquilibrage politique apparaît.
Le tétrapode du pouvoir iranien
En Arabie Saoudite le Roi est la figure symbolique du pouvoir civil, de l’état, même si une loi religieuse, la Charia, s’applique dans le Royaume. Le Conseil des Oulémas, seul, est concerné par les questions religieuses, pas le souverain, même si, il lui revient d’appliquer les propositions du Conseil. Une structure similaire en Iran reviendrait à reconnaître le Shah comme Souverain, à la tête de l’état, avec à ses côtés un conseil des Ayatollahs…
Or quel est la structure du pourvoir iranien ?
La philosophie politique iranienne actuelle repose sur le principe juridico-religieux, de la « velayat-e faqih », qui peut se traduire dans une vision juridique comme la « jurisprudence des conservateurs » et en terme politico-religieux par « le gouvernement par les doctes », c’est-à-dire, ceux qui sont instruits du Grand Savoir, qui sont en relation avec la déité.
Le « Guide suprême de la République Islamique », le docte suprême, sera donc un ayatollah, non désigné par le peuple, donc non élu. Il est discerné parmi ses paires par le « Conseil du discernement »… Représentant suprême du religieux, il ne peut être dépendant des votes de ce monde. Est donc construit à la tête de l’état une réunion du religieux et du séculier. Absence suprême de séparation des pouvoirs, base de toute philosophie réellement… républicaine…
Le président de la République est certes élu, mais sa candidature est au préalable approuvé par le Guide et le Conseil des Experts, dont les membres sont eux-mêmes adoubés par le Guide. Il a été quelques fois laïc, comme Ahmadinedjad, mais le plus souvent il fait lui aussi parti des « clercs », du clergé, comme actuellement, Hassan Rohani…
De ce pouvoir en ligne verticale, sont issus trois axes, l’un de pouvoir et deux d’orientations stratégiques. Plus précisément, l’axe de pouvoir, concerne les « structure de forces », les « Pasdarans », et constituent la garde prétorienne du pouvoir, doublant l’armée dans chacune de ses composantes.
Les deux orientations stratégiques sont l’une de « dominance », les programmes nucléaires et de missiles, visant à asseoir une domination stratégique sur tout le Moyen-Orient, et l’autre d’influence, « l’arc chiite », depuis le Pakistan jusqu’au Liban. Cette stratégie d’influence, au sein de « l’arc chiite », fait appel dans ses moyens aussi bien au « soft » qu’au « hard power », c’est-à-dire aussi bien à l’utilisation de l’influence politique qu’aux interventions de milices ou du Hezbollah. L’ambassadeur iranien à Bagdad est un ancien « Gardien de la révolution », et les milices chiites, afghanes, pakistanaises, avec encadrement iranien, seront envoyées pour combattre Daech…..en Irak et en Syrie, afin de maintenir respectivement dans ces deux pays, chiites et « frères alaouites » au pouvoir.
La stratégique de « dominance » reposant sur le nucléaire, par son importance, mérite que l’on s’y arrête quelques instants.
L’arc chiite
L’autre pilier stratégique des mollahs de Téhéran, consiste à utiliser l’appartenance au chiisme comme arme politique. Les chiites constituent en effet des minorités non négligeables de 10 à 40% dans 5 pays de proximité, le Pakistan, l’Afghanistan, le Yémen, la Syrie, et le Liban, et la majorité de la population irakienne.
Cet arc géographique sera appelé « arc chiite » pour la première fois par Abdallah, roi de Jordanie.
Cette proximité géographique et religieuse constitue la raison profonde des interventions des milices chiites étrangères, et de la force Qods des Gardiens de la Révolution iranienne, en Syrie en Irak, au Yémen, et de la création du Hezbollah au Liban, dès 1985.
La création de Daech est une décision politique (la création d’un état, et plus exactement d’un Califat) pour répondre par la force à ces ingérences chiites et iraniennes. A l’opposé d’Al Qaïda, qui ciblait dans sa rhétorique, en priorité « les juifs et les croisés », Daech a dirigé en priorité ses actions contre les chiites et les forces qui les soutiennent. Daech a été la seule organisation à commettre des attentats contre les forces du Hezbollah, et en Iran même…
La stratégie nucléaire iranienne, et le bras de fer des négociations
Autre sujet de tension, pas seulement vis-à-vis de l’Arabie saoudite, mais de tout le Moyen-Orient, le programme nucléaire iranien. Il fut extrêmement difficile d’amener l’Iran à la table des négociations, la stratégie nucléaire, initialement civile de l’Iran ayant été initiée à la fin des années 60. Téhéran lançait en effet dès cette époque ses premiers appels d’offre, en 1972, pour la construction d’une centrale nucléaire, à Busher, pour la production d’électricité. En 1974, grâce à la France, elle rentrait dans le consortium européen Eurodif, visant à lui assurer 10% de la production d’uranium enrichi de l’usine de Pierrelatte au prix d’un investissement de plus d’un milliard de francs. Cette situation allait conduire à un contentieux extrêmement sévère entre la France et l’Iran , après l’arrivée des mollahs au pouvoir. Cette bataille a duré 10 ans, entre sanctions économiques et « guerre de l’ombre ».
Cette dernière a culminé avec l’assassinat de Georges BESSE le 17 Novembre 1986, certes Président de la Régie Renault au moment des faits, mais… Directeur du Commissariat à l’Energie Atomique et qui plus est, Président du Directoire d’Eurodif en… 1974.
Moins de trois heures après cet acte, le Quai d’Orsay, communiquait qu’après examen du dossier du contentieux avec l’Iran un premier versement de 330 millions allait être transféré en Iran…
Les actions contre le programme nucléaire iranien
Presque 20 ans plus tard, après l’intervention en Irak, le renversement de Saddam Hussein, et la « non découverte des armes de destruction massive » les Etats-Unis prennent les premières décisions de sanctions contre l’Iran et dans le plus grand secret commence un programme d’intervention contre la centrale de Natanz, où se trouvent les centrifugeuses d’enrichissement de l’uranium.
Après avoir réussi à reconstituer le plan de l’installation électrique et donc les réseaux entre ordinateurs, centrifugeuses, et systèmes de contrôle entre 2006 et 2008, les premiers envois de virus interviennent. Pendant 2 ans ils vont provoquer de fortes perturbations dans le programme jusqu’au jour où leur présence sera découverte. Une troisième phase interviendra avec l’élimination physique de 4 experts atomiques entre 2010 et 2012 dans les rues de Téhéran ou à leur domicile.
Cette ultime étape des pressions aboutira à des contacts secrets puis à la décision de Rohani, en juin 2013 au lendemain de sa première élection, à la prise de décision de lancer des négociations officielles, acceptant de négocier le programme nucléaire en échange de la levée des sanctions.
A la signature des accords en juillet 2015 à Vienne, entre l’Iran et le groupe dit des « 5+1 » l’Arabie saoudite exprimera son insatisfaction devant les insuffisances techniques de cet accord, mais finira par accepter l’avantage d’un accord imparfait, existant, à une situation de poursuite non contrôlée des avancées nucléaires iraniennes.
L’Arabie Saoudite franchit un cap
D’officieuse, l’opposition entre Arabie et Iran devient officielle en 2016. Le Prince Turki Ben Fayçal, petit-fils du fondateur du Royaume apporte son soutien au Conseil National de la Résistance Iranienne, devant plusieurs dizaines de milliers d’iraniens …. en France… à Villepinte.
Le Prince Turki, directeur des services de renseignements saoudien pendant 22 ans, puis ambassadeur du Royaume, respectivement à Londres et Washington est un homme très important et influent. Hors d’une position de responsabilité, il exprime ce qui sera dans quelques temps, la position officielle de l’Arabie Saoudite.
Après avoir évoqué le brillant passé culturel de la Perse, et son apport à la religion musulmane, il appelle la résistance iranienne à continuer le combat contre le « cancer khomeyniste » (!), assure la résistance iranienne du soutien de son pays, et exprime la vision que la présidente de la résistance,… une femme… Maryam Radjavi, restera grâce à son combat dans les livres d’histoire…
Une bombe diplomatique… savamment étouffée par les médias français,… le président de la République islamique d’Iran était en visite en France 4 mois auparavant, et les espoirs de grands contrats étaient alors au plus haut…
2017 va marquer des étapes supplémentaires. Le nouveau président des Etats-Unis offre à Riyad, une vision nouvelle. Le régime de Téhéran est présenté comme le « fauteur de troubles ». La vision américaine du « changement de régime à Téhéran » apparaît officiellement.
Israël va exprimer « se tenir prêt à apporter son soutien à l’Arabie Saoudite », et procéder régulièrement à des frappes en Syrie contre des dépôts d’armement des milices chiites.
La rivalité entre Arabie Saoudite et Iran, ne prendrait-elle pas alors la forme d’une alliance multipolaire… ?
Face à l’Iran, ce n’est donc pas seulement l’Arabie Saoudite qui se lève, mais également les Etats-Unis et Israël. Face à Téhéran se constitue ainsi visiblement si ce n’est une alliance formelle de ces 3 pays, au moins une coordination politique, et donc une coordination aussi dans les autres domaines d’action.
Les perspectives 2018
En 2018 La pression internationale contre le régime iranien va augmenter. Les investigations DE L’ONU s’intensifient sur le massacre des 30.000 prisonniers politiques de l’été 1988. Elle s’exprimera d’avantage contre les « Pasdarans » et les sociétés impliquées dans la réalisation des programmes de missiles.
Les émeutes très récentes sont bien plus dangereuses à terme pour le régime que la contestation de 2009, centrées sur la seule contestation d’un résultat électoral. Elles expriment, en 2018, un champ de revendications beaucoup plus large, politiques, économiques, sociétales, aboutissant à la condamnation globale du régime.
C’est chaque composante du « tétrapode du pouvoir iranien » analysé précédemment qui est contesté : le pouvoir politique et ses échecs, créant des tensions à l’intérieur du pouvoir, les pasdarans et la violence de la répression, les choix des programmes nucléaires et de missiles, détournant des ressources nécessaires par ailleurs à la population, et l’arc chiite, exemplaire par la ruineuse intervention en Syrie.
La lettre de Mehdi Karoubi, ancien candidat à la Présidence de la République islamique d’Iran, révélé le 30 Janvier 2018, et accusant le guide suprême Khamenei, au pouvoir depuis 30 ans (!) d’être le principal responsable de la pauvreté et des difficultés actuelles du peuple iranien, en est une illustration exemplaire. En outre, elle montre au grand jour les tensions extrêmes à l’intérieur même du régime.
Le Gouvernement saoudien se prépare dans le cadre d’une « Vision 2030 » à faire évoluer profondément son pays, dans le cadre d’une ouverture interne, et d’une vaste coopération internationale, là où l’Iran se trouve isolée, et en proie à la fois à la stagnation économique et à la contestation politique intérieure.
Pas d’affrontement frontal, mais une rivalité globale se profile entre les deux pays. Pas de conflit direct, mais une stratégie visant à créer à terme la chute du pouvoir à Téhéran. En cela l’Arabie Saoudite est puissamment aidée par deux autres « partenaires », les Etats-Unis et Israël.