Au-delà de « Barkhane » et « Wagner », Sénégal, Mauritanie et Bénin restent de solides partenaires pour la France
Article paru sur le site de La Tribune le 12 juillet 2023
Le début de la décennie 2020 a été difficile pour la France en Afrique. La pression et l’influence politique et sécuritaire russes ont créé une situation totalement nouvelle au cœur du Sahel. Les étonnants événements récents autour d’Evguéni Prigojine et de la milice Wagner ajoutent un niveau de réflexion. Les alliés européens de la France, la mission de l’Onu prennent également leurs distances vis-à-vis du Sahel. Comment va évoluer la situation ? Sur quels partenaires africains la France va-t-elle pouvoir compter ?
Les événements nationaux dans les pays possédant une influence mondiale provoquent souvent des réactions et des conséquences au-delà de leurs frontières. Les mouvements importants, et assez inattendus, en Russie de la milice Wagner, et de son emblématique dirigeant, Evguéni Prigojine, attirent le regard. La présence de cette « Société Militaire Privée » agissant au bénéfice du Kremlin sur plusieurs continents, Amérique du Sud et Afrique, et les actions qu’elle mène, provoquent naturellement des interrogations. L’apparent désordre autour d’elle en Russie provoquera-t-il des ondes de choc, en particulier en Afrique ?
Depuis 10 ans, la Russie a méthodiquement mis en place une stratégie globale vis-à-vis du continent africain de façon visible, mais aussi beaucoup plus discrète et d’influence. Le visible s’appelle le Sommet Russie-Afrique organisé depuis 2019, le discret revêt plusieurs aspects: communication, influence politique, opérations sécuritaires. Ces dernières, initiées à partir de fournitures d’armes, et de sécurité rapprochée des dirigeants, se sont élargies avec la mise en place d’instructeurs et de commandos structurés du Groupe Wagner.
Leur apparition en RCA s’est ensuite assez rapidement élargie à une présence en Afrique du Sud, au Soudan et au Mozambique, et plus récemment au Mali et probablement au Burkina Faso. Ces deux derniers pays ont été l’objet d’une véritable opération de déstabilisation globale, reposant à la fois sur les élites de l’armée, et une campagne d’action psychologique et politique auprès des populations. Le cri de ralliement a été clairement ciblé, « Dehors la France », et les conséquences ont été considérables.
Répercussions françaises et internationales
Les actions de La France ont été profondément remises en cause par les autorités politiques maliennes. Les répercussions ont rapidement gagné le champ politique, avec l’expulsion de l’ambassadeur de France le 31 janvier 2022. L’effet domino s’est répercuté sur la présence militaire française et le cœur de son dispositif de lutte contre les mouvements djihadistes au Sahel, l’opération Barkhane. Elle a pris officiellement fin l’an dernier, avec la déclaration du Président de la République le 22 novembre.
L’implication militaire de la France dans la région a revêtu très tôt un caractère international, sans que ce dernier soit mis en avant. Dès l’opération Serval, en 2013, des pays européens, les Etats-Unis, et des partenaires du Golfe ont apporté une aide logistique peu visible, mais primordiale. Avec le temps, la présence européenne s’est affirmée dans le domaine de la formation de l’armée malienne, mais également de façon très opérationnelle avec la Task Force Takuba. Organisée autour des éléments des Forces Spéciales, elle a impliqué plus de 10 pays européens. Sa mission s’est officiellement arrêtée en juillet 2022.
L’implication internationale la plus emblématique, celle de l’Onu, à travers la Minusma , se dirige également vers sa fin avec la résolution 2690 du Conseil de Sécurité, voté le 30 juin 2023, qui autorise cette mission a entamé son retrait du Mali.
Le Mali va ainsi se retrouver, dans les prochains mois, dans sa situation de début de crise, à l’exception de la présence politique et militaire russe.
Cette position est très importante pour le Kremlin, vis-à-vis de l’ensemble du continent africain, et pour l’affirmation de son image de puissance. En conséquence, les incertitudes moscovites autour du Groupe Wagner ne devraient pas avoir de répercussion sur la présence de la Russie en Afrique, au moins à court terme.
Les décisions du pouvoir militaro-politique au Mali et au Burkina Faso ont conduit le gouvernement français, et ses alliés européens, à revoir le dispositif militaire mis en place depuis des années pour contrer la poussée djihadiste. La France doit pouvoir compter sur un certain nombre de partenaires fiables dans cette situation nouvelle.
Un de ces partenaires appartient à la zone sahélienne, la Mauritanie, deux autres sont au contact de la zone, le Sénégal, et le Bénin.
Le rôle mauritanien
La France entretient avec la Mauritanie des relations historiquement privilégiées, dans de nombreux domaines allant de la bonne gouvernance, au domaine sécuritaire, en passant par la coopération culturelle, scientifique et économique. Une accélération semble se préciser.
Le chef d’état-major des armées, le général d’armées Thierry Burkhard s’est rendu à Nouakchott il y a quelques semaines, exactement le 10 mars 2023, pour y rencontrer son homologue, le général de division, Moctar Bellah Chaabane. La coopération française est importante en matière de sécurité et de défense, et vise à renforcer l’expertise mauritanienne dans la lutte contre le terrorisme et les trafics. Cette visite a été l’occasion de se rendre au Collège de Défense G5 Sahel, dans un contexte de transformation des dispositifs de défense de la France sur le continent. Quelques jours plus tôt, un forum économique organisé par Medef International et la BPI s’y était déroulé, avec la participation d’une quarantaine d’entreprises françaises. A la fin de l’an dernier, Total Energies, à travers son activité énergies renouvelables, s’est engagé en Mauritanie dans un projet d’hydrogène vert. Dans le cadre européen, un nouvel accord de pêche UE-Mauritanie a également été signé l’an dernier.
A cette accélération du rôle mauritanien s’ajoute la permanence des liens avec le Sénégal.
La position du Sénégal
Le hasard n’ayant pas vraiment sa place dans le domaine des relations et des déplacements militaires, le général Burkhard s’est également rendu au Sénégal dans le cadre de ce même voyage en Afrique de l’Ouest…
Cette visite lui a naturellement permis de rencontrer le président de la République Macky Sall, le ministre de la Défense, Sidiki Kaba. Ce fut également l’occasion de visiter la principale base abritant les Eléments Français du Sénégal (EFS) en réaffirmant à la fois les engagements communs, et la diversité des coopérations de la France pour répondre aux priorités de plus de 15 pays de l’Afrique de l’Ouest.
La décision récente du président Macky Sall d’annoncer sa non-candidature à la prochaine élection présidentielle conforte le pays dans sa demande de stabilité. Elle correspond également au besoin de cette même stabilité sur le plan régional.
Le 4 avril 2023, le président du Sénégal avait pris la décision de créer un poste de haut fonctionnaire de défense, en charge de la supervision de la politique de sécurité, et la prévention des crises et des situations d’urgence. Cette décision a été prise en raison du contexte sécuritaire national et régional sahélien. Afin de lutter contre la menace djihadiste qui plane sur la sous-région ouest-africaine, le Sénégal a renforcé sa présence militaire le long de sa frontière avec le Mali. Le retrait de la Minusma du Mali pourrait offrir au Sénégal l’opportunité de réaffecter une partie de son contingent à ce dispositif frontalier.
Le Bénin, du symbole au sécuritaire
Un acte symbolique fort a eu lieu entre le Bénin et la France, fin 2021. Paris a en effet pris la décision de rendre à Cotonou, pour le musée historique d’Abomey, une collection de 26 objets dont la France s’était emparée au début de la période coloniale. Cette restitution crée naturellement un cadre très favorable à tout autre projet et coopération.
Le déplacement, l’an dernier, d’Emmanuel Macron s’est déroulé dans un cadre très élargi, avec la présence des ministres français de la Culture, des Affaires étrangères, et de la Défense. Le Bénin a connu une accélération des attaques des GAT (groupes armés terroristes) dans le nord du pays. Il s’y trouve un terreau favorable, avec le cumul des différences ethniques, de la mixité des zones de pâturage et d’élevage, et le croisement de routes de transhumance.
Cette situation sécuritaire difficile a conduit le Bénin a prévoir le doublement des effectifs de son armée, en 5 ans, avec un objectif de 15.000 hommes. La France contribuera naturellement à la formation et à la dotation de matériels adaptés de reconnaissance et de combat, avec la Belgique et les Etats-Unis. Le Bénin a également fait récemment l’acquisition de moyens aériens ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance). Il lui restera à augmenter ses capacités en artillerie légère et en aéromobilité. Il y a une réelle volonté politique, donc financière, de poursuivre cette montée en puissance.
L’armée béninoise a également pu mettre en œuvre ses capacités opérationnelles dans le cadre de ses participations aux opérations internationales sur le continent.
La France a donc raison d’associer pleinement le Bénin dans son partenariat africain en pourtour du Sahel.
Les évolutions nationales dans la zone Sahélienne sont loin d’être terminées. Des mouvements anti-français, savamment orchestrés, sont apparus. Ils peuvent avec le temps refluer. La progression de la présence de la Russie ne peut pas être déconnectée de la situation intérieure russe. A cet égard, des zones d’incertitudes existent, liées aux incertitudes de la situation en Ukraine.
Dans un premier temps, la France a la chance de pouvoir construire des coopérations renforcées avec des pays partenaires dans la région. Dans un deuxième temps, il sera alors possible de revenir d’où nous sommes partis.