Chine, 30 piteuses après 30 glorieuses ?
Où va la croissance chinoise ? Avec quelles conséquences sur le monde ?
A l’évidence, il y a un aspect quelque peu provocateur dans un tel titre… quoique. De novembre 2014 à mai 2015, la Bourse de Shanghai flambe. Une première alerte boursière en juin, une deuxième en août, un ralentissement économique sensible, et, en quelques mois, les perspectives changent profondément.
L’usine du monde, le moteur de l’économie mondiale, s’essouffle, voire même beaucoup plus…
Comme le dit joliment le proverbe africain, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». Les dirigeants chinois ont-ils crû que le bambou ferait exception ? Le « business model » s’est pourtant montré performant. Mais comment la Chine en est-elle arrivée là ?
Pour comprendre ce qui se passe actuellement et en évaluer les prochains événements et leurs conséquences, commençons par examiner rapidement les éléments qui ont porté ce spectaculaire « bond en avant »…
Les clés de la réussite
Le modèle chinois est on ne peut plus connu. Une force de travail immense, acceptant une dure discipline, pour des rémunérations très faibles, eu égard aux standards occidentaux.
Des investissements en capital conséquents tant dans la constitution des infrastructures, que du capital productif, et du logement, pour que ces populations, venues des zones rurales, puissent s’implanter dans les nouvelles zones industrielles.
L’économie mondiale est ainsi devenue globale, intégrant dans ses flux le pays le plus peuplé du monde, les décideurs occidentaux délocalisant leurs achats en Asie pour des raisons de prix de revient faisant de la Chine « l’usine du monde ». Profit des deux côtés avec création de nouveaux consommateurs chinois en grand nombre. La réussite et la performance du modèle était assurée.
La Folle Croissance
Les chiffres de croissance ont su être à la hauteur de la taille du pays, et des avantages qu’il offrait. Le graphique ci-dessus, série chronologique sur 50 ans, issu des statistiques du FMI, fournit le recul nécessaire et permet de distinguer très nettement toutes les phases du cycle chinois : les deux premières de « l’explosion de la croissance » (1963-1969) à la « croissance ascensionnelle » (1972-1993) puis la période « plateau » (1993-2008) et enfin la phase de « ralentissement-déclin » (2009- 2015…)
La Chine a été portée par la croissance mondiale, en suivant celle-ci dans ses «trous d’air» (crises de 2000 et 2008) ou crise monétaire asiatique (1997). Le ralentissement mondial produit le ralentissement chinois, et son ralentissement propre s’autoalimente.
Les raisons extérieures du retournement
Le ralentissement productif chinois a commencé avec la crise de 2008 qui a provoqué les ravages que l’on connaît aux Etats-Unis, premier partenaire économique de la Chine.
Le taux de croissance « insolent ! » à deux chiffres, est repassé sous la barre des 10% pour se diriger vers les 7% et maintenant en dessous, en gardant la distance qui doit être observée vis-à-vis des chiffres officiels… car les « chiffres réels » pourraient être substantiellement inférieurs…
La croissance mondiale qui créait la richesse de la Chine ne s’est pas replacée au niveau où elle se trouvait avant 2008, mais pire, cette demande mondiale en 2015 a fortement régressé.
La croissance américaine se situera cette année à un point en dessous de celle qui était projeté à mi 2014, soit environ 2,5%, et la situation moyenne européenne est également « encalminée » en dessous de 2%.
Dans les 4 autres pays des « BRICS » le ralentissement économique est également notable. Le Brésil affiche une croissance du PIB que de… 0,3% à ce jour sur 2015, la Russie en récession avec un recul de son du PIB projeté à -4% pour cette année.
Seule l’Inde dans une situation de « force tranquille » va connaître une année faste de 7 à 8% de croissance (passant sur ce critère devant son voisin-rival) mais qui commerce peu avec lui (environ 50 milliards sur les 2.200 milliards d’exportations chinoises)) et l’Afrique du Sud dont le poids est très limité, et la croissance de 2% cette année…
Le retournement interne, l’usure du modèle
L’économie d’exportation chinoise était fondamentalement centrée sur la faiblesse de la rémunération de sa force de travail.
Mais en vue de rééquilibrer le moteur économique chinois et de créer une demande intérieure, le plan 2011-2015 intégrait une hausse moyenne annuelle de 11% des rémunérations, créant ainsi un affaiblissement de la compétitivité et donc un transfert des achats occidentaux vers d’autres pays « lower costs » Bangladesh, Vietnam…
Conscients de cette force qui commençait à devenir une faiblesse, les fabricants de textile chinois ont même commencé (ô paradoxe) à externaliser leurs fabrications vers des pays « low cost », africains comme l’Ethiopie !
L’autre grande stratégie chinoise d’investissement en capital fixe et infrastructures, a également commencé à connaître ses limites, aucun intérêt à doubler une autoroute déjà construite…
Les premières réactions des autorités chinoises
Ce processus était suffisamment amorcé fin 2013 et début 2014 pour que les autorités encouragent les salariés à regarder vers la bourse, stagnante depuis quatre ans, alors que l’économie était encore florissante.
Outre l’idée de favoriser l’appât du gain et de plus-values qu’il était de plus en plus difficile de réaliser sur le marché immobilier avec des prix orientés à la baisse, cette stratégie permettait d’orienter la très substantielle épargne des ménages chinois vers l’économie productive et les besoins de financement des entreprises.
L’abaissement des taux bancaires le 21 novembre, une première depuis 2012, l’encouragement à la création de fonds, connectés avec la bourse de Hongkong, et la décision prise en avril 2015 de permettre aux épargnants de pouvoir détenir jusqu’à 20 comptes-bourse, créaient une tendance ultra-haussière. Début mai, en trois semaines seulement, 10 millions de nouveaux comptes étaient ouverts à la bourse de Shanghai, corrélant la baisse de 150 milliards de dollars des dépôts bancaires au mois d’avril…. !
A cela venait s’ajouter les effets de leviers pratiqués par les traders…
En un an la bourse de Shanghai s’est envolée de 130%… ! Il ne manquait pas un bouton à l’uniforme de la catastrophe.
Les chiffres sont vertigineux, il faudra les retrouver à la sortie, sous forme de pertes… pour les épargnants, les institutions, et les entreprises, et l’impact sur le reste du monde.
Les graphiques ci-dessous, illustrent à gauche la formation de la bulle spéculative, et à droite les deux ruptures qui se sont déjà produites :
Au 20 Août l’indice se situait à 3664,… Au 8 septembre il s’est replié à 3.080…
Il faut s’attendre à de nouvelles ruptures boursières.
Il y a encore 700 points de trop dans l’indice de Shanghai, par rapport à Octobre 2014, avec des entreprises dont les résultats ne se sont pas améliorés, mais au contraire dégradés. Cela aboutit à une projection de baisse de l’indice d’encore… 25% !
A quoi faut-il s’attendre ?
Les conséquence chinoises
La création et l’explosion de la bulle spéculative à Shanghai va avoir de très nombreuses répercussions. Tout d’abord la disparition d’une partie de l’épargne des ménages, ce qui, par ailleurs, dans le cadre d’une politique de la demande voulue par les autorités n’est pas le meilleur des supports.
L’ampleur et la rapidité vont créer une crise de confiance vis-à-vis des dirigeants, car c’est une politique qui a été décidé, voulu et porté par eux. Les conséquences immédiates n’en seront pas politiques, parce que le système est fermé, mais peuvent se déplacer dans le domaine social.
Cette disparition de richesses et cette crise de confiance vont accélérer le ralentissement de l’économie chinoise de façon très substantielle. Il est difficile de l’évaluer au jour d’aujourd’hui, mais la croissance 2016 se situera très probablement en dessous des 5% en restant sur l’échelle des chiffres officiels…. Ce ralentissement se nourrira également des fermetures de mines, d’usines métallurgiques et d’unités industrielles, qui se traduisent par des suppressions d’emploi…
Il n’est pas sûr que cette situation encourage la Chine à la transparence des informations économiques, financières et statistiques, dont elle a pourtant tellement besoin.
Les conséquences en dehors de Chine
Elles vont être nombreuses et douloureuses elles aussi. La diminution brutale et importante de la richesse chinoise va avoir des implications sur tout le reste de la planète, et certains secteurs vont être touchés plus que d’autres.
Nous assisterons, en parallèle, à une répercussion sur toutes les places financières occidentales. Les entreprises exportatrices ou établies en Chine sont nombreuses et d’activités diverses. Cela va diminuer la valeur de l’épargne en bourse et les ressources financières des entreprises, dans leurs marges, leurs résultats, leurs capacités d’investissement et de recours au marché pour leur financement…
Les constructeurs aéronautiques risquent de ne plus voir de méga commandes comme ils en ont connu. Plus directement touchés les constructeurs automobiles, et en particulier allemands (Volkswagen réalise 36% de ses ventes en Chine) et le secteur du luxe important pour la France. A n’en pas douter les touristes chinois seront moins nombreux en France en 2016…
Le ralentissement chinois se précipitant, va être contagieux et accélérer le ralentissement mondial déjà en cours…
Les cours des matières premières au plancher
Cette triste projection ne pourra que maintenir les cours des matières premières au plancher, qui devraient ainsi tenir compagnie aux taux d’intérêts des banques centrales, à Washington, Londres et Bruxelles…
On comprend l’insistance, très diplomatique, de Christine Lagarde, vis-à-vis de la Fed, de ne relever ses taux qu’en étant « vraiment sûr que tous les paramètres de l’économie américaine le permettent ». Espérons que ces difficultés internes importantes et proches n’incitent pas les dirigeants chinois à diriger leurs concitoyens, en diversion, vers les réclamations de souveraineté territoriale en mer de Chine.
Ils ne seraient pas les premiers à utiliser ce type de fuite en avant, pour essayer de remobiliser les énergies, vers un but extérieur, esquivant ou du moins minimisant la crise interne, et, de ce fait leurs responsabilités.
La Chine a devant elle le défi d’une révolution de liberté, économique, politique et juridique, qui est aussi importante que les révolutions qu’elle a déjà vécues. Mais le temps presse et ce défi est immense.
Qui aurait dit, il y a un an, que la Chine allait se trouver dans une telle situation, et se soumettre elle-même et le monde à un « hard landing »… ? Espérons qu’aucun n’en meure, mais tous seront atteints.
Qu’il me soit permis ici en cette fin d’article, de rendre hommage à deux auteurs, Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier, analystes économistes français, qui en avril 2012, il y a 3 ans et demi, ont écrit un ouvrage, avec un titre déjà provocateur : « La Chine, une bombe à retardement ».