« Donald Trump doit faire attention à sa faible marge politique »

Donald Trump doit faire attention à sa faible marge politique

Article paru sur Epoch Times le 22 avril 2025, journaliste : Julian Herrero.

ENTRETIEN – Le géopolitologue Gérard Vespierre revient pour Epoch Times sur les tensions commerciales entre les États-Unis et le reste du monde et analyse la rencontre entre Donald Trump et Giorgia Meloni jeudi. Pour le fondateur du Monde Décrypté, les « politiques radicales » du président américain risquent de se retourner contre lui et de pénaliser le Parti républicain.

1) Donald Trump a relevé à 145 % les taxes douanières visant la Chine. En représailles, Pékin a annoncé l’instauration de tarifs douaniers à 125 %. Comment analysez-vous cette guerre commerciale qui est en train de se jouer entre Pékin et Washington ?

Il ne s’agit pas simplement d’un face-à-face entre les États-Unis et la Chine. Le monde entier est concerné par ces tensions commerciales.

La politique de Donald Trump a deux caractéristiques : elle est unidimensionnelle et axée sur la force.

Je parle d’unidimensionnalité parce que les droits de douane ne peuvent pas constituer, à eux seuls, une politique économique pour la première puissance mondiale.

En théorie, une politique économique digne de ce nom devrait prendre en compte d’autres paramètres tels que les capacités d’investissement, la politique monétaire ou les avantages fiscaux accordés aux entreprises et aux salariés.

Avec Donald Trump, nous sommes en dehors de tout cadre institutionnel et dans la mise en œuvre de mesures décousues.

Mais ces instaurations de tarifs douaniers s’inscrivent dans un mouvement plus large de logorrhée trumpiste qui entraîne le monde entier avec lui. Le président américain veut faire du Canada le 51e État des États-Unis, il entend racheter le Groenland et régler le conflit russo-ukrainien ainsi que la guerre au Moyen-Orient à coups de « deals » et de projets immobiliers. On est dans le délire de l’action au détriment de la clarté.

Les marchés financiers font payer à la nouvelle administration ses élucubrations. Le dollar a perdu entre 7 et 8 % de sa valeur par rapport à l’euro. Ce qui se traduit par une hausse immédiate des prix des produits importés d’Europe pour le consommateur américain.

La Bourse américaine a dévissé de 13 % ! Ce n’est pas anodin quand on connaît l’importance de la Bourse outre-Atlantique pour les fonds de pension, et les placements des particuliers.

Et le risque d’inflation fait que la Banque fédérale américaine ne peut pas baisser ses taux malgré les suppliques de Trump. Les taux bancaires européens sont 2% plus faibles que les taux américains, ce qui facilite la croissance et les investissements en Europe. À l’inverse, les investissements vont être ralentis aux États-Unis. La politique de Donald Trump semble se retourner contre lui.

2) Cette guerre commerciale ne risque-t-elle pas de pousser les Européens dans les bras de la Chine ?

Non. Je pense que les Européens ne sont pas dupes vis-à-vis de la Chine. Il peut y avoir des discussions de circonstances, mais il n’est pas question pour eux de dérouler le tapis rouge à Pékin qui ne cherche qu’à cannibaliser nos économies en remplaçant nos fabrications.

L’Italie avait d’ailleurs signé en 2019 un accord avec la Chine pour entrer dans le projet des nouvelles routes de la soie, et s’en est finalement retirée en 2023. L’appétit européen pour la Chine est donc très limité.

L’enjeu est de garder à distance le géant chinois tout en continuant de commercer avec lui, ce qui est un exercice difficile.

3) L’expression « Guerre froide est-elle appropriée » pour qualifier les relations sino-américaines aujourd’hui ?

Les anciennes expressions ne reflètent jamais les nouvelles situations. La Guerre froide faisait référence à l’affrontement idéologique entre deux blocs clairement définis, le bloc occidental et le bloc soviétique.

Aujourd’hui, la situation est différente. Il n’y a pas de blocs, mais une rivalité globale entre Pékin et Washington marquée par une concurrence économique, militaire et technologique.

À l’époque, l’URSS n’était en aucun cas une puissance dotée d’une vision économique mondiale. Elle en était bien incapable.

Il faudrait trouver un autre nom pour qualifier cette rivalité sino-américaine.

4) Lors d’une rencontre avec la présidente du conseil des ministres italien Giorgia Meloni jeudi, le président américain s’est dit sûr « à 100 % » qu’il y aura un accord sur les tarifs douaniers avec l’Union européenne. La dirigeante italienne constitue-t-elle un réel atout pour l’Europe ?

L’Italie est un partenaire commercial important des États-Unis. Elle bénéficie également de nombreux accords technologiques.

L’agence spatiale italienne a été très tôt en capacité d’avoir des liens forts avec la NASA, ce que n’a jamais fait le CNES français qui a n’a travaillé que très ponctuellement avec l’agence américaine. Et pour Washington, il est plus intéressant en termes de rapport de force d’élaborer des projets spatiaux avec un État européen plutôt que l’ensemble du continent.

La venue de Giorgia Meloni à Washington a permis de garder les canaux de communication ouverts entre les deux rives de l’Atlantique. Elle contribue à une détente dont ont besoin l’Union européenne et les États-Unis. L’Amérique aura besoin de cette détente si elle veut regarder ailleurs, vers le Pacifique par exemple.

5) La cheffe du gouvernement italien, en s’adressant à son homologue américain a déclaré que son but est de « rendre sa grandeur à l’Occident ». N’est-elle pas en train d’essayer de ramener Donald Trump dans le giron d’un conservatisme plus classique favorable à une alliance atlantique forte ?

C’est une vision qui a le mérite d’exister et d’être encouragée. Mais je ne suis pas sûr que dans cette première année de mandat, Donald Trump y soit réceptif.

Pour le moment, son objectif demeure « Make America Great Again » et non pas « Make the West Great Again ».
Seuls des revers extérieurs, mais surtout intérieurs, à travers les réactions fortes de l’opinion publique américaine, pourraient l’encourager à se rapprocher de l’Europe et à rebâtir une union occidentale.

Certains revers sont déjà visibles : 10 % des sénateurs Républicains ont voté avec les Démocrates l’annulation de l’urgence des tarifs douaniers visant le Canada.

Donald Trump doit aussi faire attention à sa faible marge politique. Au Sénat, il dispose seulement de trois voix d’avance, et de six à la Chambre des représentants.

Je rappelle également qu’en novembre, il avait, en termes de vote populaire, seulement 2 millions et demi de voix de plus que sa rivale démocrate, sur un total de 152 millions de votants.

Il en a sûrement perdu depuis la mise en œuvre de sa politique protectionniste.
Les options radicales tous azimuts de Donald Trump et l’arrivée du trublion Elon Musk ne correspondent absolument pas aux fondamentaux politiques et électoraux américains.

Si le président américain continue dans cette voie, le Parti républicain risque de le payer très cher lors des prochains scrutins.