Double-jeu égyptien entre la Méditerranée et la Mer Rouge ?
Article paru sur Atlantico le 7 novembre 2023
L’Egypte montre un visage médiateur et humanitaire dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. Mais curieusement dans l’autre terrible conflit régional, au Soudan, la diplomatie égyptienne montre un visage totalement différent. Quels sont les éléments de cette situation ? Pour quelles raisons l’Égypte livre-t-elle de l’armement à l’un des protagonistes alors que des pourparlers de paix, menés par l’Arabie Saoudite et les États-Unis, se déroulent à Djeddah ?
Six mois de guerre ont plongé le Soudan dans un cauchemar : plus de 9000 personnes ont été tuées, plus de 5 millions ont été déplacées et 25 millions de soudanais ont besoin d’aide humanitaire. Le pays menace d’imploser et avec lui, les derniers États stables de la région, comme le Tchad où des milliers de réfugiés sont arrivés. C’est dans ce contexte que des pourparlers de paix orchestrés par les États-Unis et l’Arabie saoudite ont débuté le 26 octobre à Djeddah.
Les racines du conflit
Les discussions réunissent les délégations des deux principales parties en conflit : celle du général Abdel Fattah al-Burhan, chef des Forces armées soudanaises, et celle du général Mohamed Hamdan Dogolo, à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), principalement issues du Darfour.
Ces deux leaders militaires avaient pourtant ensemble, en 2019, mis fin au 26 ans de pouvoir du sanglant dictateur Omar Al Bashir accusé de crimes contre l’humanité.
Ils ont également ensemble interrompu, en 2021, le pouvoir civil du Conseil de Souveraineté, dirigé par Abdallah Hamdok. Pendant cette période d’action commune, le général Dogolo, était l’adjoint du général al-Burhan.
Mésentente sur leur futur respectif, et désaccord sur leurs visions politiques, ont conduit les deux protagonistes et leurs forces militaires respectives à s’affronter depuis le mois d’avril.
Ces combats inter-soudanais ont mené à ce que l’ONU a appelé un cauchemar humanitaire.
Les négociations de Djeddah
Les États-Unis tentent depuis des mois d’apaiser la situation. Ils avaient réussi en mai, avec l’aide de l’Arabie Saoudite, à obtenir une trêve humanitaire. Les deux pays sont à nouveau actifs, avec cette fois la participation de l’AIGD (Autorité Intergouvernementale pour le développement) dont le siège est à Djibouti, regroupant 7 pays de l’Afrique de l’Est, dont naturellement le Soudan.
L’objectif n’est pas à ce stade d’aboutir à un cessez-le-feu, qui semble pour le moment impossible, mais de convaincre les protagonistes de faciliter la mise en place d’opérations humanitaires, principalement d’ordre alimentaire et médical, et d’accepter une nouvelle suspension des combats.
Le Caire dans le camp de l’affrontement
Le Caire a semble-t-il choisi de prendre le contre-pied. Le 14 octobre le Wall Street Journal révélait que l’Égypte avait livré récemment à l’un des partis, l’armée soudanaise, des drones de type Bayraktar TB2, fabriqués en Turquie. Ces drones, révélés par les guerres en Libye, Arménie, et Ukraine, permettent de mener des frappes ciblées redoutables.
Le trouble-jeu de l’Egypte intervient à un moment où la région est déjà sous haute tension, et où les principales factions soudanaises poursuivent leurs affrontements meurtriers.
Les FSR qui contrôlent une grande partie de Khartoum ont récemment annoncé avoir pris le contrôle de la capitale de la province du Darfour du Sud. Ces armes peuvent-elles changer le cours du conflit ? Seules, non, mais l’ingérence de l’Égypte et de la Turquie (qui a donné son accord à ce transfert, et reçu à Ankara le général Al-Burhan) démontre que certains acteurs continuent de nourrir les antagonismes au risque d’une escalade régionale et d’une contagion.
L’absolu besoin d’un apaisement
Loin des caméras du monde, légitimement braquées sur le conflit entre Israël et le Hamas, la guerre au Soudan charrie pourtant aussi son lot d’atteintes aux infrastructures civiles. La Coordonnatrice humanitaire de l’ONU pour le Soudan s’est dite récemment profondément préoccupée par les actes de violence visant jusqu’aux hôpitaux, devenus la cible des belligérants. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a confirmé que depuis le début de la guerre, 58 établissements de santé ont été attaqués. Résultat : 70% des installations ne sont plus opérationnelles et le choléra est revenu autour de Khartoum et dans d’autres régions du pays.
L’Égypte qui se veut puissance médiatrice aux yeux du monde dans le conflit majeur en cours entre Tel Aviv et le Hamas, devrait sans doute reconsidérer sa position dans ce conflit qui risque d’amplifier la déstabilisation de l’Arc Sahélien.
Médiateur et humanitaire sur les bords de la Méditerranée, pourquoi Le Caire ne le serait-il pas sur les bords de la Mer Rouge ?