Iran : nouvel Eldorado, ou possible mirage… ?
La levée des sanctions contre le régime de Téhéran après l’accord international sur le programme nucléaire iranien offre de réelles opportunités de commerce international avec ce pays. Toutefois le paysage n’est pas sans nuage, ou potentielles illusions.
Le Commerce et les relations internationales peuvent-ils se limiter à des déclarations incantatoires : il faut aller en Iran… ?
Il y a trop d’enjeux, de complexité dans ces relations à la fois subtiles et dures, pour ne pas prendre un peu de recul, et analyser cette situation sereinement.
L’Iran est depuis de nombreuses années en délicatesse avec les instances internationales. Ses positions politiques expansionnistes dans la région, Irak, Syrie, Liban, son soutien à divers mouvements et sa répression politique et policière interne avaient créé une mise à l’écart des circuits économiques et financiers internationaux. Son programme nucléaire dans son volet militaire ajoutait encore à ce confinement.
Plusieurs années de négociation, viennent depuis une semaine de remettre Téhéran en partie dans le jeu économique international.
L’Iran un marché potentiel
Tout d’abord son niveau de population proche de 80 millions d’habitants en fait le deuxième pays le plus peuplé de la région derrière l’Egypte, devançant la Turquie. Ce trio représentant une population régionale de 240 millions de personnes…. L’autre point fort démographique réside dans la jeunesse de cette population, les dernières statistiques indiquant que 54% de la population a moins de… 30 ans… soit 44 millions d’individus… marché potentiel, avide de consommation.
Au-delà de ces chiffres, une partie importante de cette jeunesse a développé un niveau de formation de qualité, avec des talents dans les domaines de la mathématique, de l’informatique et de la technologie. En dehors de cette richesse humaine, l’Iran est connue pour la richesse de son sous-sol en ressources énergétiques, se situant au troisième rang mondial pour les réserves de pétrole, après le Venezuela et l’Arabie Saoudite, et deuxième réservoir mondial de gaz derrière la Russie. Remarquable doublé, porteur de développement économique potentiel.
Mais encore faut-il que les acteurs sur le marché, c’est-à-dire d’un côté, les autres pays producteurs et de l’autre, les sociétés pétrolières laissent un peu de place pour les uns, et prennent des décisions d’investissement pour les autres…
Une croissance incertaine de l’industrie pétrolière
Le rythme d’une nouvelle croissance de l’industrie pétrolière et gazière iranienne est donc fort incertain, d’autant plus, que la Russie, alliée actuel, verra d’un très mauvais oeil cet accroissement de l’activité iranienne qui viendra concurrencer ses propres positions de fournisseur en Europe et en Asie… !
L’envolée aéronautique
La venue du Président Rohani et la signature annoncée d’un très important contrat pour Airbus, est certes une avancée spectaculaire vers l’Eldorado… d’autant plus qu’il faut ajouter à ce projet celui de l’achat de 40 avions turbopropulseurs ATR… Et l’envolée n’est pas finie puisque que le Vice-Ministre des Transports a déclaré dimanche dernier que son pays souhaitait engager des négociations avec Boeing pour un niveau de contrat équivalent… Bout à bout, nous sommes devant un portefeuille de contrats pouvant atteindre 20 milliards de dollars…
En dehors du niveau particulièrement élevé, et donc des questions de financement, il en ressort une image, une symbolique du retour de l’Iran, mais qu’en sera-t-il dans quelques temps ? Les capitaux gelés à l’étranger ne seront pas inépuisables.
Le marché automobile
Les marques françaises avaient obtenu de très bonnes parts de marché en Iran, particulièrement PSA avec des unités d’assemblage sur place. Les sanctions ont conduit les iraniens à se tourner vers la Chine pour leurs approvisionnements. Est-ce que PSA pourra retrouver avec le temps ses positions perdues ?
La venue du Président Rohani sera-t-elle l’occasion d’un accord ou d’une annonce ? Les efforts de Renault de son côté et les projets d’investissements pourront-ils revoir le jour ?
Il est actuellement trop tôt pour le dire. Ce qui est certain par contre, c’est que l’industrie chinoise ne se laissera pas facilement déloger.
Les limites des statistiques et des chiffres
Toutefois, il faut tenir compte dans cette population potentiellement attractive d’un point de vue commercial, d’un PIB par habitant de seulement 4.760 dollars et d’un taux de chômage substantiel. En effet si les statistiques officielles indiquent un nombre de chômeurs de 3 millions, selon des organismes indépendants le nombre réel serait 2, voire 3 fois plus élevé, et se situerait donc à environ 10% de la population totale…
En ce qui concerne le taux de croissance, le graphique ci-dessous, publié par la Banque Centrale d’Iran montre clairement l’impact des sanctions de 2012, mais également que la politique déflationniste destinée à tenir le taux de change, avec des taux d’intérêt autour de 20% a provoqué un ralentissement économique certain, avec un taux de croissance 2015 proche de zéro.
Le graphique ci-dessous également publié par la Banque Centrale d’Iran montre clairement le résultat positif de la politique monétaire menée, avec une baisse marquée du taux d’inflation, mais comme on le voit sur le graphique précédent au détriment du taux de croissance. Telle est la situation économique actuelle qui ne ressemble pas à un Eldorado.
En ce qui concerne les réserves énergétiques, la situation mondiale du marché du pétrole, par la chute des prix fait perdre à l’Iran, comme aux autres pays exportateurs d’ailleurs, 65% de ses recettes pétrolières par rapport à 2014…
Il convient donc de prendre avec une extrême prudence les déclarations annonçant une mise sur le marché par l’Iran de 500.000 barils par jour dans les prochains mois. La rudesse, la longueur, la complexité des négociations sur leur programme nucléaire a fait voir au monde l’habileté des diplomates iraniens dans les négociations internationales. Ils peuvent garder la même habileté dans les effets d’annonce savamment orchestrés, allant dans le sens de l’augmentation prochaine de leurs ressources financières, facilitant ainsi l’ouverture de nouveaux crédits….
Or l’on peut affirmer, au regard de la situation mondiale du marché pétrolier, que tout volume supplémentaire de pétrole brut mis sur le marché ne peut conduire qu’à une augmentation du volume déjà excédentaire de l’offre sur le marché mondial, et donc par la même alimenter la baisse des prix, ce que nous avons vu s’accentuer ces dernières semaines… justement en prévision de l’arrivée de barils supplémentaires en provenance d’Iran… !
Les questions financières
Comme dans les montagnes russes, les chiffres évoquant le montant des avoirs iraniens gelés à l’étranger s’est élevé puis abaissé, puis élevé à nouveau. Cette question, mais surtout la réponse, est d’une extrême importance car elle va conditionner une grande partie du financement des nouveaux projets iraniens et donc l’aptitude, ou non, du pouvoir actuel de créer croissance et amélioration du niveau de vie auquel la population iranienne aspire. Au début de la décennie, le chiffre fort considérable de plus de 100 milliards de dollars circulait allègrement.
Dans un précédent article paru le 14 septembre 2015 « Pourquoi l’Iran est en réalité affaibli par les accords de Vienne » il était fait référence à une déclaration de Valolliah Seif directeur de la Banque Centrale :
« Les avoirs gelés à l’étranger, jusque-là, estimés entre 120 et 150 milliards de dollars, ne dépassent pas 29 milliards de dollars. »
Et ce niveau de ressources nouvelles, certes non négligeables, s’accompagne d’un accès limité à la circulation des capitaux avec les banques américaines, limite qui s’applique également pour tout règlement effectué en dollars.
Comme le résumait une dépêche Reuters ce 22 Janvier : « Les sanctions américaines interdisent aux banques et aux compagnies d’assurance basées aux Etats-Unis toute transaction commerciale avec l’Iran mais elles empêchent aussi de réaliser des opérations avec l’Iran libellées en dollar américain via le système financier américain. »
Il y a bien sûr beaucoup d’autres voies bancaires possibles, ne serait-ce que les transactions dans toute autre devise que le dollar américain, mais ces dispositions signifient clairement que les potentiels contrats et financements entre les Etats-Unis et l’Iran devront encore attendre quelques temps…
Les autres points de friction
La question du programme nucléaire militaire ayant été résolu dans le cadre que nous connaissons depuis le 14 juillet dernier, une autre question, moins hautement symbolique que le nucléaire, mais tout aussi épineuse sur le plan stratégique, s’envenime, il s’agit du programme des fusées militaires.
Des lancements récents ont démontré la vitalité du programme et la volonté de Téhéran de poursuivre l’amélioration des performances de leurs missiles. Les Etats-Unis ont donc décidé de nouvelles sanctions, très ciblées, vis-à-vis de ce programme. Elles visent à la fois quelques personnalités iraniennes dans leurs déplacements et l’interdiction de commercer des matériels sensibles avec plusieurs sociétés « écrans » établies dans le Golfe.
Les tensions américano-iraniennes ne sont pas éteintes, elles persistent sur cet autre foyer de discorde. Les pays occidentaux ne peuvent non plus ignorer la question des Droits de l’Homme, mais si « les affaires sont les affaires… » Et cette question peut revêtir plusieurs aspects, depuis la confiscation d’une église de la communauté chaldéenne catholique à Téhéran, dénoncé récemment devant le Parlement iranien par Jonathan Bet-Kelia, député iranien chrétien, jusqu’aux pratiques policières et judiciaires conduisant encore actuellement à des centaines d’exécutions, selon Amnesty International, plus de 700 exécutions ont été effectuées en 2014… et 2015 aurait vu les mêmes chiffres…
La confrontation des espoirs et des réalités
La situation iranienne comme on vient de la décrire, est donc beaucoup plus « contrastée » que certains veulent le laisser croire. L’économie iranienne est dans une situation difficile, et sans nul doute le rapatriement des avoirs gelés va être une bouteille d’oxygène, mais comme toute bouteille d’oxygène, elle ne saurait être inépuisable. D’autre part, la circulation des capitaux avec la totalité du reste du monde n’est pas encore éclaircie, et les Etats-Unis restent sur ce chapitre dans une attitude sagement attentiste. Le pétrole ne sera pas non plus une recette magique, comme permet de le comprendre la chute des cours depuis maintenant 16 mois…
Alors, … prudence….