Iran : mortelle sortie de la guerre hybride (T 1150)

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Article paru sur La Tribune le 18 décembre 2024

Le combat de la Russie contre les démocraties européennes s’exprime à travers une puissante stratégie médiatique de désinformation, influenceurs, et réseaux sociaux. Y figure aussi la création de sociétés russes, chaînes de télévision ou agences de presse, ou l’usage d’influence politique, voire de facilités financières, sur des médias existants. Devant cette stratégie, l’Union européenne a mis en place un règlement européen sur la liberté des médias, mais qui ne s’applique pas aux pays candidats. Il se livre donc dans la région des Balkans une féroce bataille visant à détourner ces pays de leur orientation européenne.

Bien que le droit des médias relève d’une compétence nationale, la Commission européenne a justifié sa législation dans ce domaine au nom de l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cet article permet à l’UE d’adopter des mesures pour « rapprocher les dispositions des États » quand ces textes ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Le règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act) relève donc de ce dispositif.

Une mise en place réglementaire

Présenté par la Commission européenne en septembre 2022, ce règlement est entré en vigueur en mai 2024, et concerne trois grandes thématiques, l’interdiction de surveillance des journalistes par les pouvoirs publics, la limitation des suspensions arbitraires de certains contenus par les très grandes plateformes en ligne, et l’obligation de publication des noms de propriétaires de médias, directs ou indirects.

Le texte cherche donc à renforcer l’indépendance des médias et des journalistes, à garantir un financement stable des médias de service public et à limiter les concentrations.

Mais l’application de ces textes ne concerne naturellement que les 27 États membres. Ils ne s’appliquent donc pas aux États candidats. Or une peu visible, mais intense lutte se livre depuis plusieurs années dans les réseaux médiatiques des pays ayant entamé un processus d’adhésion à l’Union européenne.

Les préoccupations de l’exécutif européen.

L’acte européen cherche tout d’abord à préserver l’indépendance et le pluralisme des médias.

En premier lieu, l’exécutif européen s’inquiétait de l’augmentation des ingérences publiques et privées dans les décisions éditoriales. Ces pressions sont principalement liées aux difficultés de financement depuis l’essor de l’information gratuite, par le canal de l’internet. Les médias de service public sont particulièrement concernés, le processus de nomination et de révocation de leurs directeurs manque de transparence dans plusieurs et peut donc conduire à des choix éditoriaux politisés.

Par ailleurs, beaucoup de médias d’Europe de l’est dépendent de rétributions liées aux publicités commandées par leurs gouvernements. Or même lorsqu’elles ne sont pas directement politiques, elles peuvent véhiculer des messages vantant par exemple les mérites du gouvernement en place. L’objectif est alors d’influencer les opinions publiques lors de campagnes électorales.

Le pouvoir des États en matière d’autorisation de diffusions peut aussi menacer l’indépendance des médias. Enfin, la Commission s’inquiétait de l’intensification des concentrations dans les médias privés.

La situation balkanique

Cinq pays de la région des Balkans, Albanie, Bosnie Herzégovine, Macédoine du nord, le Monténégro, la Serbie, sont candidats à une entrée dans l’Union européenne. La dynamique politique de cette région est donc particulièrement importante, et attire regard, et actions, de pays s’y opposant, nommément, la Russie.

Tout organisme destiné à encourager, et surveiller le maintien de leur indépendance médiatique, revêt donc une importance particulière. Telle est la vocation de BFMI (The Balkan Free Media Initiative) organisation indépendante basée à Bruxelles. Elle a pour objectif de rendre compte des écarts de liberté et de responsabilité des médias dans cette région. Cet organisme a produit une première étude en 2021, et un deuxième document en novembre 2024, qui étudie la situation médiatique entre autres, dans 3 pays candidats, Serbie, Monténégro, et Bosnie Herzégovine.

Le Monténégro a mis en place trois textes de loi concernant la liberté des médias, pour tenir compte de son objectif européen. Toutefois, la question du financement y est particulièrement aigüe. Le diffuseur public RTCG, qui détient 53% du marché, reçoit 18 millions d’euros de la part du gouvernement, alors que l’ensemble des 222 entreprises privés du secteur, dépendent de leurs seules recettes publicitaires… Ce déséquilibre ouvre la porte à l’influence de la Serbie et de certains de ses groupes médias, anti-Otan, et œuvrant ouvertement contre l’adhésion européenne.

En Bosnie-Herzégovine, la République Serbe de Bosnie, une des 3 entités de la Fédération, favorise des projets de loi allant à l’encontre de la liberté des médias, ainsi qu’un nouveau projet de loi sur les « agents de l’étranger ». La source de cette influence est claire. Reporters sans frontières a, de son côté, identifié une pratique croissante de l’auto-censure des journalistes…

L’importante situation serbe

La position géopolitique de la Serbie, avec ses presque 7 millions d’habitants, lui donne un poids particulier, et se retrouve dans ses impulsions politiques chez ses voisins. Le rapport BFMI de 2021 notait déjà que la situation des médias y était « en état de siège ». L’évaluation 2024 ne peut que confirmer cette situation, appuyée par l’analyse de Reporters sans Frontières. La Serbie perd 13 places dans le classement mondial établi par cette association, et se positionne désormais à la 98e place. En outre une étude du Parlement européen, évoque ce pays comme étant « la plate-forme de lancement de la désinformation russe pour toute la région », particulièrement active depuis l’invasion de l’Ukraine.

La liberté des médias est d’autant plus en difficulté que la Serbie a procédé à une (re)légalisation de facto, de la propriété des médias par l’État. Les structures de financement et de détention du capital restent, à dessein, opaques et impliquent naturellement l’inefficacité des structures de contrôle, à travers un comportement ouvertement partisan de leurs membres.

Les élections qui ont eu lieu en 2023, apparaissent comme un révélateur de la situation, à travers trois commentaires clés, des observateurs : « auto-censure des journalistes », « forte influence du gouvernement sur les médias », et « réelle difficulté de l’opposition d’accéder aux médias nationaux ».

Cette situation difficile conduit naturellement à quelques commentaires sur les dispositions et la mise en place de la réglementation européenne, tant pour les membres de l’union, que pour les États candidats.

L’amélioration des dispositions européennes

Il ressort des conclusions de cette étude que la mise en œuvre de la réglementation européenne à l’égard des médias devrait être un préalable à l’adhésion et au versement de fonds européens.

Une telle orientation inciterait davantage les autorités de tutelle d’éviter le glissement de leur propre réglementation, tant dans l’expression médiatique que dans la transparence de la propriété des organismes médiatiques.

De plus, à l’intérieur des textes existants, il serait nécessaire de renforcer les dispositions favorisant le pluralisme, afin d’éviter les tendances vers des positions de monopole. Dans le même esprit, il apparaît opportun d’améliorer traçabilité et contrôle de l’argent public injecté pour empêcher les influences politiques cachées.

En poursuivant dans cette optique de contrôle, il conviendrait d’accentuer le caractère indépendant et responsable des organismes de contrôles.

La libre expression représente la prédominance nécessaire de l’État de droit, projeté dans l’univers médiatique. L’un et l’autre sont les piliers de toute structure démocratique et qui entend le rester.

Il convient donc d’accorder une importance toute particulière à ce domaine, et à la démarche de liberté des médias, entreprise à l’égard des États ayant exprimé leur intention de rejoindre l’Union européenne.