Au Moyen-Orient, Téhéran sur tous les fronts
Article paru sur le site de La Tribune le 25 octobre 2023
L’ampleur et l’impact de l’attaque du Hamas sur le territoire israélien posent la question de sa préparation, de sa conception et de la sophistication des moyens mis en œuvre. Les regards se sont tournés vers Téhéran. Mais si on considère la totalité du champ de bataille du Moyen-Orient, en intégrant l’histoire de ces 50 dernières années, Téhéran est plus que l’instigateur. L’Iran est l’architecte du combat idéologique contre Israël, et l’organisateur régional de cette opposition radicale.
La Tribune 25 Octobre
Voir plus de 1.000 combattants du Hamas pénétrer sur le territoire israélien par terre, air et mer en se jouant du mur électronique mis en place par Israël tout autour de la bande de Gaza a créé un formidable choc dans l’armée et la population israélienne. Un plus grand choc encore a été l’ampleur des massacres de civils commis par les assaillants, et la capture de plus de 200 otages emmenés à Gaza.
Cette opération menée en quelques heures a cependant nécessité un long temps de préparation, et des compétences militaires et techniques hors des capacités du Hamas. L’Iran a clairement fait comprendre son implication par la bouche d’Ali Akbar Velayati conseiller de Khamenei, en charge des relations internationales, et ministre des Affaires étrangères du régime pendant 16 ans : « Les États-Unis ont pensé qu’en éliminant le Général Solemani le 3 janvier 2020 à Bagdad, ils avaient éliminé toutes capacités de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution. Les évènements du 7 octobre leur ont montré qu’il avait été remplacé ». Les plus hautes autorités du cercle du pouvoir de Téhéran revendiquent donc haut et fort la paternité de l’opération.
Les Gardiens de la Révolution ont donc fortement aidé à la conception de cette opération ainsi qu’à son financement. L’an dernier, au cours d’un échange télévisé, depuis Téhéran, Ziad Nokhleh chef duDjihad islamique, a révélé que l’aide iranienne au Hamas s’élevait à 150 millions de dollars par an, en plus de l’aide accordée aussi par l’Iran à son propre mouvement.
Mais l’implication de Téhéran ne s’arrête pas là car elle s’étend aux pays limitrophes d’Israël.
Le régime iranien présent au Liban et en Syrie
En plus de son implication auprès des Palestiniens de la bande de Gaza, via le Hamas et le Djihad islamique, Téhéran a aussi organisé une pression sur Jérusalem à partir de ses positions au Liban et plus récemment en Syrie. La création du Hezbollah remonte au début des années 1980. Appuyé sur la très forte minorité chiite libanaise, il fut officiellement présenté en 1985.
Israël ne s’est pas inquiété de la création de cette milice qui au fil des années et des centaines de millions de dollars apportés par Téhéran a fini par constituer une armée forte de plusieurs dizaines de milliers de combattants, dotés de dizaines de milliers de roquettes, bien entraînés et fortement motivés.
Les affrontements entre Tsahal et le Hezbollah, au sud-Liban, ont fait prendre conscience à l’armée et au gouvernement israélien de la force qui avait été créée par l’Iran sur sa frontière nord.
Soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad en 2011
Le soulèvement contre le régime de Bachar al-Assad depuis 2011 et le printemps arabe ont conduit l’Iran a apporté à son allié syrien une aide importante. Les membres du Hezbollah ont été mis à contribution en traversant la frontière libano-syrienne.
Téhéran a également envoyé en Syrie des éléments de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, ainsi que des miliciens chiites, hazaras, venant d’Afghanistan regroupés dans les brigades « Fatemiyoun ». Cette présence iranienne conséquente explique les bombardements régulièrement menés par l’armée de l’air israélienne en Syrie.
Téhéran dispose donc d’une capacité militaire significative, de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, à ses ordres, sur les frontières nord d’Israël, au Liban et en Syrie. Le Hezbollah est entré en action depuis le 7 octobre et utilise la nuisance de ces lancements de roquettes sur le territoire israélien. Cette gesticulation militaire coordonnée par Téhéran poursuit trois objectifs.
Le premier est de forcer l’armée israélienne à maintenir une forte présence sur la frontière nord, empêchant donc ces troupes de participer à une offensive sur Gaza. Le second vise à créer une menace d’un engagement de beaucoup plus grande ampleur en cas d’opération forte israélienne dans la bande de Gaza. Le troisième est de créer une menace sur les implantations militaires américaines en Syrie. Les envois de drones sur 3 de ces sites dont celui d’Al Tanf, matérialisent cette capacité d’intervenir fortement sur ces implantations en cas d’intervention américaine contre le Hezbollah, en soutien à Israël.
Ce premier cercle, géographiquement au contact d’Israël, est complété par une présence plus éloignée en Irak et au Yémen.
Le deuxième cercle l’Irak et le Yémen
L’Iran a saisi l’opportunité de la désorganisation de l’État irakien faisant suite au renversement de Saddam Hussein et a implanté dans ce pays de puissantes milices s’appuyant sur la majorité musulmane chiite du pays. Les brigades « hachd al chaabi », Unités de Mobilisation Populaires, représentent plusieurs dizaines de milliers de combattants. La résistance iranienne a réussi à publier les noms de ses membres dont la solde est payée par Téhéran.
Ce sont des éléments de ces brigades qui ont mené des frappes contre deux implantations des forces américaines en Irak. A nouveau, il s’agit là d’un signal menaçant les forces US de frappes beaucoup plus importantes en cas d’intervention militaires américaine en appui à Israël. Ces actions expliquent la décision américaine d’envoyer au Moyen-Orient des systèmes supplémentaires de défense anti-aérienne, afin de renforcer la protection de leurs bases.
En parallèle, Téhéran a également fait agir les milices Houthis depuis le Yémen. Minorité chiite instrumentalisée par Téhéran depuis les années 1980, les forces Houthis ont procédé à des lancements de missiles de croisière et de drones depuis leur région à l’extrême ouest du Yémen, bordant la mer Rouge. Le destroyer américain USS Conway présent en mer Rouge a intercepté ces missiles se dirigeant vers le nord, et potentiellement Israël.
Téhéran a donc fait appel et mis en œuvre l’ensemble du dispositif de forces que le régime iranien a constitué dans la régions depuis 40 ans maintenant.
Il s’agit d’une véritable stratégie visant à l’anéantissement d’Israël, articulée sur une vision idéologique et une organisation militaire intérieure, basée sur les Gardiens de la Révolution.
Le dispositif de la République islamique
Avant même de prendre le pouvoir à Téhéran en 1979, l’imam Khomeini, réfugié en Irak, décrète que « Israël est l’ennemi de l’Islam ». La doctrine est claire et annoncée. L’ennemi est à combattre, et si possible éradiquer.
Trois mois après son arrivée au pouvoir, l’organisation des Gardiens de la Révolution est mise en place. Ces éléments vont constituer l’armée idéologique du régime, l’armée régulière issue du régime impérial n’étant pas estimée fiable et loyale au nouveau pouvoir.
A l’intérieur de cette organisation est créée une « division internationale », destinée à organiser et réaliser des opérations extérieures. Elle sera dénommée force « Al Qods ». Traduisible par « le lieu » ou « lieu sacré », donc Jérusalem. L’objectif est donc clairement annoncé, il s’agit de « reprendre » Jérusalem.
Cette vision idéologique sera fermement maintenue par Khamenei, succédant à Khomeini. Il a déclaré : « Israël est une tumeur cancéreuse »… On ne peut être plus clair. Ahmadinejad, président de la République islamique pendant 8 ans, étonnera le monde par la virulence de ses propos anti-israéliens et antisémites.
Après la description de cette vision idéologique de la République islamique d’Iran, de l’organisation des Gardiens de la Révolution, et des milices chiites régionales, on ne peut que s’étonner d’entendre la question si l’Iran est « impliquée » dans les tragiques évènements récents en Israël ?
Plus qu’impliqué, Téhéran est la source qui perpétue la tension et le conflit entre Israël et les Palestiniens. Son absolue volonté est de mettre un terme au développement des accords d’Abraham. Son objectif est d’empêcher tout accord entre Israël et l’Arabie Saoudite. Une telle situation est totalement à l’opposé de ses desseins.
Téhéran entend que rien ne puisse être construit au Moyen-Orient sans son aval.
Si le peuple iranien parvenait à renverser ce régime, alors, une solution pacifique pourrait réellement essayer de se mettre en place entre Israéliens et Palestiniens.