Donald Trump utilisera-t-il l’arme du pétrole ?
Article paru sur le site Le Contemporain le 7 décembre 2024
Depuis 2010, la stratégie du pétrole de schiste des États-Unis a fortement bousculé le marché pétrolier mondial. Devenu 1er producteur mondial d’or noir, le baril est devenu pour Washington une arme non pas défensive, mais d’initiative. Le nouveau président, peu soucieux des problèmes environnementaux, pourrait encourager l’augmentation de la production américaine. Les avantages seraient très nombreux. N’a-t-il pas déjà commencé à la préparer ?
Le monde n’a pas suffisamment pris conscience de l’ampleur des conséquences de la décision américaine de lancer exploration et production du pétrole et du gaz de schiste par l’administration américaine, il y a presque 20 ans. Il est essentiel de placer le possible choix du nouveau président américain, dans le cadre mondial et très dynamique de ces dernières années.
Le combat de la dominance
Après ces préalables administratifs et politiques, les premiers barils de pétrole de schiste sont sortis de terre à partir de 2010 …En 2015 les compagnies américaines avaient doublé la production nationale, en passant en 5 ans de 5M à pratiquement 10M de barils par jour.
L’Arabie Saoudite a alors décidé « d’ouvrir les vannes » pour casser le prix du baril, et faire sortir du marché les nouveaux producteurs américains. Ils ont réussi pendant 1 an à faire revenir la production US à 8M de barils par jour, et à mettre en faillite un certain nombre de nouveaux producteurs. Mais, si un certain nombre d’explorateurs ont disparu, le pétrole de schiste restait disponible… !
Les saoudiens ont certes pour un temps gagné, mais le futur ne s’annonçait pas en leur faveur. Les prix revenant à leur niveau antérieur, de nouveaux investisseurs américains ont décidé de reprendre le flambeau du pétrole de schiste. En juin 2018, les États-Unis devenaient le 1er producteur mondial de pétrole….
Les saoudiens, et l’OPEP devant cette inévitable redistribution des cartes, ont décidé mi-2016 d’agrandir le cercle de l’organisation en créant l’OPEP+ et associant 10 autres producteurs, dont la Russie, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan… Le but était clair, augmenter la puissance stratégique de l’organisation en regroupant ainsi, un peu plus de 50% de la production mondiale.
Les nouveaux équilibres
Les États-Unis ont poursuivi avant et en post COVID, leur leadership mondial et dépasse actuellement les 13M de barils par jour. Fin 2016, ils ont commencé l’exportation de ce pétrole de schiste, qui atteint maintenant, en moyenne, 4M de baril par jour. Toutefois ils restent importateur d’environ 6M de barils par jour. Il ne faut donc pas tenir compte des déclarations erronées : les États-Unis restent importateur net de pétrole, car 1er consommateur mondial, leur besoin atteint 19M de baril par jour !
Cette nouvelle répartition de leurs échanges extérieurs pétroliers a conduit les États-Unis a diminué de 40% leurs importations, eu égard à cette nouvelle position de leader mondial de la production.
L’impact s’est principalement répercuté sur l’approvisionnement en provenance de… l’Arabie Saoudite. Proche de 2M de barils par jour, les importations américaines en provenance du Royaume, se situent maintenant entre 200.000 et 400.000 barils par jour, soit une baisse très significative de l’ordre de 1,6M de barils par jour. La nature, pétrolière, ayant également horreur du vide, ce volume conséquent (supérieur à la consommation journalière française….) est parti en direction de la Chine.
La situation post COVID
La restriction des déplacements terrestres et aériens a créé un effondrement de la consommation, et des cours du baril qui (en termes de gestion financière) a même, pendant quelques heures, affiché un cours négatif ! Concrètement le niveau de 20 dollars a été atteint…
Cette situation a contraint tous les producteurs a baissé leur production pour soutenir les cours. La reprise économique mondiale, progressive, a conduit l’OPEP+ a géré cette situation en maintenant ses restrictions volontaires de production de l’ordre de 2M de barils par jour. Ce choix stratégique a eu deux conséquences. La première, a conduit les prix à osciller dans une fourchette haute de 75 à 85 dollars le baril, et la deuxième a vu la part de marché mondial des pays de l’OPEP+ diminuer, au profit des producteurs des Amériques, nord et sud, Canada, USA, Guyana, Argentine, qui ne limitant pas leur production captent à leur profit, la lente augmentation de la consommation pétrolière mondiale, soit un peu plus de 1%, cette année.
Autre facteur important, le ralentissement de l’activité économique chinoise qui stabilise les besoins d’importations énergétiques du pays.
Le cours du baril est descendu sous les 75 dollars, partie basse de la fourchette précédemment indiquée, par faiblesse de la demande. C’est donc dans ce cadre global et dynamique que se place l’option possible de Donald Trump, et de sa nouvelle administration, de poursuivre et éventuellement accélérer la production américaine de pétrole.
L’option américaine
La production des États-Unis a dépassé les 13M de barils par jour, et s’est stabilisé en 2024 à un maximum de 13,3M jusqu’au mois de septembre. Octobre a connu une accélération en atteignant 13,5M contribuant à maintenir le baril sous les 75 dollars.
Quelques centaines de milliers de barils en plus ou en moins suffisent donc à produire un impact sur le prix mondial. Il suffirait donc que la production américaine continue de se rapprocher des 14M de barils par jour, même sans les atteindre, pour produire un effet significatif sur le cours du baril. Une baisse du prix du baril de 10-15% serait la conséquence.
Un tel mouvement conduirait le baril à osciller autour des 65 dollars, voire moins, sans nécessiter d’importants investissements.
Une augmentation de la production pétrolière se place tout-à-fait dans la vision du nouveau président, climato-sceptique, qui prépare déjà l’augmentation des exportations de GNL, et la révision de la réglementation environnementale, limitant la prospection pétrolière américaine, notamment off-shore.
Une telle option, d’augmentation volontaire de la production de pétrole se place donc totalement dans sa vision présidentielle d’une économie plus libre et moins régulée.
Les nombreux avantages économiques
Si une telle option était enclenchée, elle se révèlerait être de nature stratégique, tant ses implications sont pour l’Amérique, larges tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Stratégique également dans sa nature, puisque qu’une augmentation de seulement 4% de la production NATIONALE de pétrole, produirait une variation de 10 à 15% du cours MONDIAL.
Les déclinaisons des conséquences intérieures seraient nombreuses. Elles seraient toutes de nature économique, s’étendant de l’augmentation d’emploi dans le secteur, jusqu’à la poursuite du ralentissement de l’inflation générale, en passant par la baisse des prix à la pompe, et une augmentation de la croissance. Politiquement le gain serait total… !
L’impact géopolitique mondial
Les conséquences géopolitiques seraient également de grande ampleur. Une baisse du cours mondial de 10 à 15% mettraient encore plus en difficulté l’Iran dont l’économie et la population font face à une situation très difficile. Une diminution des recettes de l’État iranien augmenterait encore la pression sur le régime, par la baisse des subventions et subsides de l’État, dans un pays dont 30% de la population vivrait maintenant sous le seuil de pauvreté. Cette évaluation provient d’un économiste iranien, dont les propos ont été relayés dans la presse iranienne….
Un autre pays, 2ème producteur mondial de pétrole, serait également touché, la Russie. Son budget dépend au moins à 30% des revenus des hydrocarbures. Sa situation se révèle de plus en plus difficile, en réalité, dans le domaine économique, le Rouble a perdu, depuis l’été, à nouveau 15% de sa valeur, alimentant l’inflation, combattue par la banque Centrale avec un taux principal monté à 21% !
Un impact d’image pour le nouveau président
Tous les pays occidentaux verraient d’un très bon œil la baisse des prix de l’énergie fossile, tant pour sa contribution à la baisse de l’inflation, qu’à travers la satisfaction des ménages avec la diminution du prix des carburants…
Enfin, la Chine, premier importateur mondial de pétrole, verrait également d’un très bon œil une baisse en valeur de ses achats de brut, bonne nouvelle pour combattre le ralentissement systémique de son économie. Donald Trump, pourrait-il aller jusqu’à « dealer » avec Pékin l’octroi d’un tel avantage, et obtenir une contrepartie… ?
A l’évidence un tel schéma, économique et géostratégique déclenché par le futur locataire de la Maison Blanche ne pourrait que faire le bonheur absolu de son équipe de communicants. L’image du président des États-Unis, en quelques semaines serait propulsée au zénith…
La réaction de l’OPEP+
Tout autre serait la réaction de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. Ils seraient victimes d’une double pleine, subissant à la fois la baisse de leurs recettes et l’impact direct sur leur économie, ainsi que la baisse nouvelle de leur part de marché mondial.
Il est très difficile de sortir de ce double piège. La seule façon de soutenir les cours consiste à réduire à nouveau leur production, donc abaisser plus encore leur part de marché. L’OPEP+ se trouve enfermé dans ce dilemme stratégique, pour essayer de maintenir ses recettes, les pays membres doivent accepter que l’organisation perde des parts de marché….
L’Angola l’an dernier a quitté l’organisation pour retrouver sa liberté de production et de revenus. D’autres départs, certes de producteurs de moyen ou faible volume, pourraient se produire.
Incroyable retournement de situation pour une organisation qui a été habituée à dicter sa loi au marché mondial.
Les prochaines semaines vont être encore plus intéressantes. Certes, il y a la possible extension de la paix au Proche-Orient, les déclarations concernant des négociations le long de la frontière russe.
Mais il y aura aussi à surveiller de particulièrement près, les déclarations de la Maison Blanche, ainsi que les statistiques pétrolières hebdomadaires américaines.
Qui a parlé d’isolationnisme américain ?