Ukraine : l’Europe doit prendre ses responsabilités
Article paru sur le journal l’Opinion le 12 janvier 2022
Les événements au Kazakhstan perturbent sans doute les plans de Vladimir Poutine, mais il ne faut pas se méprendre : le dossier ukrainien demeure au centre de ses préoccupations. Le premier objectif de Poutine est de négocier directement avec Washington et sur ce point c’est réussi : l’Union européenne est exclue des pourparlers qui s’ouvrent cette semaine à Genève entre diplomates américains et russes. Pour la Russie, qui maîtrise parfaitement l’art de l’initiative, l’enjeu est de mettre ses adversaires sur la défensive.
D’abord par des moyens traditionnels : les « gesticulations » des forces russes dans la zone frontalière en novembre-décembre ont créé un avantage militaro-politique donnant plus de force à sa position sur la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, un sujet sensible depuis la chute de l’URSS
De fait, l’OTAN a accru son soutien au renforcement capacitaire de l’Ukraine. Les États-Unis ont fourni du matériel défensif (entre autres des missiles anti-char) et un appui à la formation des forces terrestres et aériennes, avec l’aide de la Grande-Bretagne.
Et en juin 2017, le Parlement ukrainien adoptait une loi en vertu de laquelle l’adhésion à l’OTAN est devenue stratégique. L’amendement inscrivant cet objectif dans la Constitution ukrainienne est entré en vigueur en 2019.
A cela s’ajoute l’aspect juridique résumé par le Secrétaire Général de l’OTAN J. Stoltenberg : « La Russie demande des garanties juridiques ? Mais, c’est à l’Ukraine de décider son chemin, du moment et du souhait de devenir membre, ou non ». Cela donne une idée des positions a priori irréconciliables des deux camps alors qu’est prévue une rencontre Russie-OTAN le 12 janvier.
Mais au-delà des traditionnelles tactiques guerrières de la Russie, bien documentées depuis des décennies, l’hostilité de Moscou envers Kiev s’inscrit dans un schéma plus large de belligérance contre l’Union européenne et ses alliés, qui plus récemment, se manifeste par un chantage énergétique et une guerre économique.
Au-delà de sa politique des pipelines, la Russie menace l’Ukraine en tentant de l’enfermer dans un cul-de-sac commercial et financier. Moscou a resserré les procédures douanières entraînant de longs retards pour les exportateurs à la frontière, imposé des blocus et des interdictions d’importer des produits ukrainiens, et encouragé des fermetures d’usines dans l’est de l’Ukraine.
Autre dossier brulant : l’Ukraine attend actuellement de connaître le résultat d’une décision de la Cour suprême britannique, qui pourrait contraindre Kiev à rembourser plus de 3 milliards de dollars pour un prêt contracté sous la menace d’une invasion en 2014, juste avant la révolution de Maïdan. L’Ukraine avait accepté les conditions de ce prêt sous la contrainte extrême de la Russie, qui avait ensuite envahi la Crimée. Selon certaines estimations, l’annexion de la Crimée par la Russie et l’invasion de l’est de l’Ukraine ont coûté à l’Ukraine au moins 100 milliards de dollars, en raison des destructions, des saisies d’actifs et de la perte de confiance économique en Ukraine. Le bilan humain a été bien plus important, avec au moins 14 000 morts.
Etant donné le contexte actuel et la sérieuse menace que l’armée russe fait peser sur l’est de l’Ukraine, il serait moralement scandaleux et géopolitiquement dangereux que l’Ukraine soit forcée de rembourser Moscou. L’Europe doit tout faire pour que la ligne rouge ne soit pas franchie.
Une impérieuse implication européenne
Une continuité territoriale unit l’Ukraine à l’Union par la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie, et la Pologne. L’Europe, contrairement à la Russie, ne fait pas face à un « étranger proche », mais à des « amis proches ». Elle a donc des obligations.
L’Ukraine travaille, depuis plus de 20 ans à devenir un membre de l’Union, pour assoir son économie et ses aspirations démocratiques. L’Union et l’Ukraine ont signé un accord de partenariat et de coopération dès 1998. Puis en 2014, a été acté un accord d’association. Il est aujourd’hui dans l’intérêt de l’Union d’assumer ses responsabilités envers l’Ukraine. Cela passe par un soutien financier des Etats membres, et une mobilisation diplomatique européenne auprès des grandes institutions internationales.
Jean-Yves Le Drian précisait récemment : « L’OTAN et l’UE ont 25 pays membres en commun. Il nous faut donc travailler dans la même direction ». On ne peut être plus clair. L’UE se doit de prendre sa place dans les négociations entre Moscou et Washington, et obtenir la position que la Russie doit lui reconnaître, surtout au moment où la situation économique russe est mauvaise, inflation à 10% et taux directeur de la Banque Centrale porté à 8,5% le 20 décembre !
Et en prenant la présidence de l’UE, la France doit montrer la voie. Par le passé, Emmanuel Macron avait souligné la nécessité d’établir des ‘lignes rouges claires’ avec la Russie, et des sanctions potentielles à édicter, si elles sont franchies. A ce jour, les mesures décidées par l’UE, depuis l’intervention russe en Ukraine, s’appliquent à 185 personnes et 48 entités. Ces sanctions gèlent leurs avoirs et leur interdisent tout transit dans les pays de l’Union. Il est maintenant temps d’aller jusqu’au bout et de faire peser la menace de sanctions bien plus larges pour s’inviter par des actes, à ces négociations russo-américaines. Une nouvelle invasion russe serait désastreuse pour toute l’Europe.