Yémen : en route vers la paix ?
Article paru sur Latribune.fr le 29 janvier 2019
Les pourparlers entre rebelles et représentants du gouvernement yéménite officiel en Suède, au mois de décembre, marquent une véritable étape. Comment est-on finalement arrivé là ? Que peut-il se passer maintenant ? Quel avenir pour le Yémen cette année, et au-delà ? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de discerner des réponses à partir des faits les plus significatifs.
L’Arabie Saoudite a été contrainte à la négociation par les Etats-Unis, propos maintes fois entendus. Ces derniers ont en effet annoncé qu’ils allaient interrompre la participation de l’US Air Force aux opérations de ravitaillement en vol des appareils saoudiens lors de leurs missions au-dessus du Yémen. Mais c’est oublié que ces deux pays sont de proches alliés. Il est possible dire que l’on va contraindre un allié, cela fait partie de la communication, mais c’est une autre chose de le faire….
De l’autre côté si les rebelles Houthis se sont finalement assis à la table des négociations, quelles sont les raisons profondes de ce choix… ?
Les affaiblissements du camp Houthi
Beaucoup moins mises en avant ont été les raisons qui ont conduit les Houthis à s’asseoir à la table des négociations. Elles sont fondamentalement au nombre de trois :
- Les dissensions internes
- Les revers militaires continus sur le terrain
- La crainte de perdre le contrôle du port d’Hodeida
Depuis de nombreux mois des diatribes se sont élevées entre diverses personnalités et donc composantes du camp Houthi. Le cheik abdel azem al-Houthi, oncle du leader abdel Malek al-Houthi, s’oppose violemment à son neveu, l’accusant « de ne pas servir la cause du zaïdisme, mais d’être soumis au chiisme de Téhéran, et de faire le jeu de l’Iran au détriment du peuple yéménite, en se conduisant comme des voleurs et des bandits ». Difficile d’être plus virulent. Il n’y a donc pas d’unité dans le camp Houthi, mais des hostilités, alors que le camp gouvernemental est lui beaucoup plus homogène.
A cela il faut ajouter que depuis l’assassinat de l’ex-président Saleh, allié des Houthis, par des miliciens Houthis, ces derniers ne disposent plus d’alliés à l’extérieur de leur mouvement. Le camp Houthi est isolé dans le paysage politique yéménite.
Les difficultés militaires des Houthis
Les milices Houthis reculent militairement dans le nord autour de Saada, et dans le sud depuis de nombreux mois. Elles ont même subi des pertes sérieuses, juste avant l’ouverture des pourparlers, de plusieurs dizaines de morts et centaines de blessés à Al Baydah, Malajim et Qanya, fin novembre.
Enfin, l’offensive des forces gouvernementales, appuyées par les Emirats Arabes Unis, au sol, et l’Arabie Saoudite dans les airs, contre le port d’Hodeida début juillet a mis les milices Houthis sur le recul. Ce port est vital aussi bien pour le ravitaillement de la population de la capitale encore détenue par la rébellion, que pour la réception par celle-ci de ses approvisionnements en armement, ou pour tous les trafics possibles alimentant ses finances.
Pour les Houthis, ne convenait-il pas de se rendre à la table de négociation avant qu’il ne soit trop tard ? Dans les négociations politiques, nous le savons, il faut être soit séduit, soit contraint.
Les avancées des négociations
La semaine de négociation en Suède au château de Rombi, du 6 au 13 décembre, est incontestablement une étape très importante. C’est la première rencontre officielle à haut niveau, le ministre des Affaires Etrangères du gouvernement officiel, Khaled al-Yamani, y était présent. Sur le plan international le Secrétaire général de l’Onu a participé à la séance de clôture, et les 5 pays membre du Conseil de Sécurité étaient également représentés ! Implication internationale importante, pour la première fois, en plus de 4 ans de guerre !
D’un point de vue pratique, cette semaine de négociation a permis les avancées suivantes :
- Évacuation de blessés et pourparlers à Amman sur l’échange de prisonniers
- Accord de cessez-le-feu à Hodeida
- La création d’une commission de surveillance
En parallèle avec le départ des négociateurs Houthis vers la Suède, 50 premiers blessés de leur camp se sont envolés vers Oman pour y être soignés.
Quelques jours après l’accord de cessez-le-feu était confirmé sur le port d’Hodeida. La commission de surveillance, présidé par le général hollandais Patrick Cammaert se voyait attribué un contingent de 70 contrôleurs pour en surveiller le bon déroulement.
Mais une avancée n’est jamais à l’abri de difficultés
Les soubresauts
Les combats ne sont pas complètement interrompus pour autant. Le 9 janvier, une attaque surprise, audacieuse, et techniquement nouvelle a été déclenchée par les Houthis contre les forces gouvernementales sur la base d’Al Anad, au nord d’Aden.
Un rassemblement d’officiers et d’officiers supérieurs de l’armée officiel a été attaqué par un drone chargé d’explosifs. Plusieurs victimes ont été à déplorer dont le général Saleh Tamal, en charge du renseignement.
En réponse à cette attaque Houthi, la coalition menée par l’Arabie Saoudite a organisé une frappe contre une base de drone le 19 janvier.
En outre, forces gouvernementales yéménites et forces spéciales américaines continuent leurs actions contre AQPA, al-Qaida dans la Péninsule Arabique. Le 1er janvier, l’armée américaine a annoncé avoir éliminé l’organisateur de l’attentat contre le destroyer Cole en… octobre 2000 !
Plus de 18 ans après les faits, Jamal al-Badawi, après 2 arrestations et évasions, a été tué par une frappe de drone.
Mais le champ militaire n’est pas le seul où opèrent les Houthis. Dans le domaine si important du ravitaillement pour les populations civiles, l’organisation du Programme Alimentaire Mondial (WFP, ou World Food Program) de l’Onu a été dans l’obligation d’alerter ses représentants à New-York à cause d’exactions commises.
Les fraudes sur le programme alimentaire
Les problèmes ont principalement été identifiés dans la capitale, Sanaa, et sa province, où les Houthis conservent leur principale influence. Les difficultés relevées par les organisations humanitaires sont de plusieurs ordres :
- Présence sur les marchés de produits provenant de l’aide humanitaire ;
- Fraude par un partenaire local, détournement de camions ;
- Manipulation frauduleuse des listes de bénéficiaires.
Le directeur exécutif du WFP, David Beasley, a en conséquence demandé aux autorités Houthis de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour mettre fin à ces détournements et s’assurer que cette aide parvienne bien à toutes les personnes qui en ont réellement besoin.
De son côté, le WFP a décidé de procéder à une refonte de son réseau de distribution et à un enregistrement biométrique des bénéficiaires.
Il serait tout-à-fait nécessaire que la communauté internationale, qui s’inquiète à juste titre de la situation au Yémen, fasse pression sur les Houthis afin qu’ils mettent de l’ordre dans cette situation inacceptable.
Les perspectives et le futur politique
Michael Griffiths, émissaire de l’Onu pour le Yémen, va naturellement poursuivre la mise en place des négociations de paix entre Représentants du gouvernement légal et les Houthis. Une nouvelle réunion pourrait avoir lieu au Koweit début février. Les principaux points de l’ordre du jour seront :
- Les procédures d’échange de prisonniers ;
- la réouverture de l’aéroport de Sanaa ;
- Les conditions d’un traité de paix et un nouveau gouvernement.
Mais au-delà de ces objectifs à court terme, se pose la question de l’organisation à long terme de la structure politique du Yémen. Son histoire n’est pas celle d’un pays centralisé comme nous l’avons connu depuis quelques années. Son histoire est celle d’une mosaïque politique.
Nous avons connu un Yémen du Nord, et un Yémen du Sud. N’y-a-t-il pas là une esquisse de solution, un chemin vers une fédération Yéménite qui laisserait à chaque composante de la mosaïque historique de ce pays une large autonomie. Espérons que les instances internationales, et les Yéménites eux-mêmes, sauront trouver la sagesse de ce chemin fédéral.